Pourrait-on chauffer en hiver et climatiser en été un pâté de maisons grâce à une installation creusée sous une ruelle? Rencontre avec les premiers concernés — les voisins d’une ruelle montréalaise — autour d’une forme d’énergie qui fait son chemin à travers le monde: la géothermie.
Le 25 mai, une trentaine de citoyens de l’arrondissement Rosemont—La Petite-Patrie étaient rassemblés dans les locaux de la Société de développement environnemental de Rosemont pour une séance d’information organisée par la coopérative citoyenne Solon. Le sujet: un micro-réseau de chaleur appelé projet Celsius, ou la possibilité de transformer leurs ruelles en système de chauffage.
« Ce projet vient d’un désir des citoyens de se réunir, à la manière des assemblées de cuisine, pour joindre le savoir et l’expertise de ses membres en plus de solidifier le tissu social. L’environnement, qui était au centre de nos intérêts, a mené à la question de l’énergie. On voulait aller plus loin que repenser la ruelle verte », présente Bertrand Fouss, co-fondateur de Solon.
Lorsqu’on parle de géothermie de ruelles, on parle de capter la chaleur du sol pour former une boucle destinée à chauffer, ou à refroidir, des résidences ou des immeubles à logements voisins. La technologie est réputée, mais encore peu employée au Québec.
Il s’agit concrètement d’implanter une installation géothermique — un ou plusieurs puits creusés dans la ruelle et couplés avec des thermopompes. Le premier avantage, affirme le directeur exécutif de l’Institut de l’énergie Trottier, Louis Beaumier, est « de diminuer la consommation d’électricité allouée au chauffage. C’est également intéressant de pouvoir remplacer le mazout et le gaz naturel, des énergies non-renouvelables — c’est très simple de remplacer la fournaise par une thermopompe ».
« Même si je ne suis pas propriétaire, le projet m’intéresse à cause de l’initiative citoyenne et le fait que ce soit une coopérative », raconte Geneviève, résidente de Rosemont—La Petite-Patrie.
Avec ce système de géothermie, il serait même possible de récupérer la chaleur perdue en connectant au réseau les producteurs de chaleur résiduelle — tels les dépanneurs et les gros utilisateurs de systèmes de refroidissement. « La perte (de chaleur) des uns devient un gain pour les autres », ajoute Louis Beaumier.
À Montréal, la Maison du développement durable, les condos Selby à Westmount ou encore la Coopérative Le Côteau vert et Un toit pour tous dans le quartier Rosemont—La Petite-Patrie utilisent ce système de chauffage et climatisation — mais le marché québécois reste très petit avec moins de 1 % des consommateurs.
Se chauffer grâce à la ruelle
Présente dans de nombreux arrondissements de la métropole, la ruelle représente 1500 m2 d’espace libre adjacent et dessert entre 100 et 200 logements. Alors que le milieu urbain soulève de nombreux défis — impossible notamment d’édifier un système de géothermie proche des lignes du métro —, la ruelle offre un espace public qu’il est possible d’aménager, comme l’ont démontré les ruelles vertes.
« Le projet de réseau-chaleur n’est cependant pas du même ordre que la ruelle verte. Les installations sont souterraines et n’empêchent en rien les voitures de passer. La ruelle est parfaite pour la géothermie, car au contraire des voies publiques, il y a très peu d’infrastructures souterraines. À part des égouts, il n’y a presque rien », note Benoît Bourque, conseiller stratégique de la Coop Carbone, partenaire du projet.
La séance d’information visait à sonder l’intérêt des résidents à un premier projet pilote dans une des ruelles de l’arrondissement. Pour obtenir une masse critique de voisins prêts à participer, il faudra toutefois d’autres réunions, car la première rencontre a semblé insuffisante.
« Ce sera bien difficile pour moi d’en parler à mes voisins et de les convaincre d’embarquer dans le projet si je n’ai pas de chiffres à leur donner. J’ai bien l’intention de donner mon nom tout de même, mais je trouverais sûrement plus facilement du soutien avec une idée de prix », selon Sylvain, résident de Rosemont—La Petite-Patrie.
« Qu’est-ce que je dis à mes locataires ? S’il faut payer pour la location de l’équipement dans les logements, est-ce que ça implique que le coût me revient ? Dans ce cas, c’est moins intéressant pour moi d’embarquer dans le projet, surtout si on ne sait pas exactement l’économie qu’on ferait », note Hélène, propriétaire.
Des coûts et des voisins
Selon l’étude de préfaisabilité, réalisée en 2015 par Louis Beaumier et Bertrand Fouss, pour que la ruelle devienne une source d’énergie mutuelle — et alimente environ 50 % des habitations — il importe d’avoir de nombreux citoyens prêts à investir dans la transformation de leur logement. Le rapport préliminaire estime cette transition entre 4000 $ et 14 000 $, selon le type de chauffage précédent. « Les coûts sont à traiter avec une certaine réserve, ayant été dérivés d’un modèle pour édifice unique. Il est très probable que l’étude de faisabilité à venir montre des coûts plus faibles », avance Louis Beaumier.
Il faudra mutualiser les coûts de mise en place de l’infrastructure pour que cela soit rentable à moyen terme, car l’investissement reste élevé et la grande compétitivité québécoise de l’hydro-électricité favorise peu l’implantation de projets résidentiels. Toutefois, « les infrastructures nécessaires et l’entretien des installations sont beaucoup plus simples que pour d’autres types d’énergies vertes, comme les panneaux solaires », affirme Mathilde Hasnae Manon, collaboratrice chez Solon et titulaire d’une maîtrise en développement local de l’Institut d’études du développement économique et social à Paris.
Chez nos voisins américains, un projet de Manhattan fait parler de lui: la Cathédrale St-Patrick passerait à l’énergie géothermique. Il faut dire que l’État de New York accorde des économies de taxes foncières pour encourager ce genre de projet. Une bonne idée à exploiter ici, croit Louis Beaumier.
Cela pourrait faire l’objet du programme FIME de l’Association québécoise pour la maîtrise de l’énergie. « Les municipalités ont la capacité d’obtenir des capitaux à moindres coûts et en finançant ce type de projets dans les différents quartiers, cela permet aussi de réduire la demande énergétique et de favoriser la conversion à des énergies propres. Le fardeau financier diminue pour le propriétaire et le bénéfice est collectif », relève le directeur exécutif de l’Institut de l’énergie Trottier.