Le Festival Trans-Amérique bat son plein; jusqu’au 8 juin prochain, Montréal accueille des spectacles de danse et de théâtre d’ici et d’ailleurs. En ce moment à l’Espace Libre, on y présente Pôle Sud – documentaire scénique, une création d’Anaïs Barbeau-Lavalette et Émile Proulx-Cloutier.
Comme l’indique le titre, le spectacle se situe quelque part entre les codes d’une représentation théâtrale et les barèmes d’un documentaire. Les spectateurs assistent donc à plusieurs portraits de la faune qui peuplent le quartier Centre-Sud. Ces individus racontent leur histoire sur une bande-son préenregistrée. Le spectateur devient donc le témoin de leur rencontre avec Anaïs Barbeau-Lavalette. Ils évoluent d’ailleurs ensemble sur scène, comme si l’un était la bouée de sauvetage de l’autre. Le public a ainsi l’impression d’être le témoin privilégié de cette croisée des chemins.
C’est ainsi que nous redécouvrons l’humain, étonnement touchant dans son entièreté, aux dépens du personnage théâtral. Certes, ces êtres nous sont présentés avec une théâtralité, c’est chose nécessaire pour former un spectacle, mais il reste encore la pureté brute de ce qu’on a l’impression d’être spontané. Il reste l’honnêteté des mots prononcés pour la première fois. Aucun auteur ne pourrait inventer l’histoire de ces personnes, qui semblent avoir tellement vécu ; que ce soit l’analyste des projections de gouttes de sang à la retraite, la concierge d’une école secondaire ou alors l’ex-effeuilleuse transsexuelle et l’artiste-soudeur autodidacte.
Cela donne un spectacle qui ne semble pas réglé au quart de tour, qui semble laisser la place au silence, aux imperfections, à la parole. Même si nous savons tous très bien qu’il s’agit de gestes répétés à l’avance. Il est facile de l’oublier et plonger dans la vie qui nous est racontée. Il n’y a rien de plus touchant que du vrai monde.
Pourtant, la limite est mince entre ouvrir une fenêtre sur la vie de ces gens, qui ont accepté de se livrer corps et âme et une exposition romantisme de la misère du pauvre monde. La ligne est si fine entre montrer ces personnes comme des animaux de foire et dire «Regardez les phénomènes qui se promènent dans les rues du quartier Centre-Sud!» et faire un simple portrait des faits de la vie de quelqu’un, puis le montrer à d’autre, comme un conte qu’on ferait passé de bouche à oreille. J’étais inquiète de voir ce fragile équilibre basculer à plusieurs reprises, mais Pôle Sud tombe rarement dans ce piège.
Certes, l’échantillonnage sélectionné a passé à travers drames et coups durs. Le couple a beau dire avoir été séduit par l’histoire de chacun, plutôt que l’espoir d’un contenu narratif, mais ils ne peuvent nier qu’il est plus facile d’adapter les calamités d’un quartier que son plat quotidien. Il faut tout de même avoir quelque chose à présenter. Le public semblait séduit, allant jusqu’à trois rappels par leurs applaudissements enthousiasmes. Comme quoi, la vulnérabilité de l’autre peut venir toucher des cordes sensibles pour ceux qui prennent la peine d‘écouter.