Le roi de l’électro-pop, la légende Française Jean-Michel Jarre (JMJ) présentait jeudi à Montréal son deuxième spectacle en carrière sur le sol canadien. Après avoir enflammé la ville de Toronto mardi soir, c’était au tour du Centre Bell de subir ce raz-de-marée d’effets visuels immersifs concocté pour la toute première fois par le parrain de la musique électronique.
Visiblement très heureux d’en découdre enfin avec le public québécois, JMJ s’adressa à la foule plusieurs fois, partageant son amour de Montréal et sa joie d’enfin y être présent « pour le 350e anniversaire de la ville ». Il s’agissait bien entendu du 375e anniversaire. Il se corrigera plus tard, le saut de 25 ans dans le passé illustrait probablement à un énième projet de concert avorté pour Jarre et le public montréalais qui attendait ce moment depuis fort longtemps.
Dire que la venue de Jean-Michel Jarre au Québec est une succession de rendez-vous manqués est un euphémisme. L’homme aux concerts mégalomanes et aux 80 millions d’albums a pourtant réellement été influencé par le talent québécois. Du Cirque du Soleil à Robert Lepage en passant par Moment Factory. Beaucoup de points communs aussi dans les moeurs québécoises qui se marient bien au découpage organique des sons et de la lumière. Pour lui, la musique électronique s’est toujours réalisée par une approche organique du son; une expérimentation semblable à l’art culinaire: « à Lyon ou au Québec, tout commence et se termine dans la cuisine », a d’ailleurs affirmé Jean-Michel Jarre au public québécois.
Il s’agissait aussi du rêve d’une vie pour les plus grands admirateurs de l’artiste qui attendaient ce moment depuis 40 ans. En effet, c’est à la Place de la Concorde que Jarre fit son tout premier spectacle le 14 juillet 1979. Ce qui devait être une expérimentation devant une poignée d’illuminés de l’époque se révéla un concert public qui rassembla déjà un million de spectateurs. C’était bien avant le concert de La Défense ou de la Place rouge qui rassembla plus de 8 millions de spectateurs. Mais jamais en Amérique (à l’exception de Houston en 1986), et surtout pas au Québec. C’est donc dire qu’un Centre-Bell pour Jean-Michel Jarre, c’est bel et bien un concert intimiste dans le cadre de ce tout premier passage de l’artiste de 67 ans en 40 ans de carrière.
Bidouillant des tas de claviers disposés en hémicycle, virevoltant, tâtonnant toutes ces touches, ces boutons et transistors autour de lui, Jean-Michel Jarre apparaissait jeudi soir comme un enfant dans un magasin de jouets. Entouré des musiciens Claude Samard de Lyon, et Stéphane Gervais, originaire de Québec, le musicien de légende livra une performance programmée au quart de tour, digne des plus grands concerts de la pop. La liste des pièces transmise aux médias indiquait d’ailleurs précisément l’instant exact où les lasers s’enflammeraient, ainsi que quels instruments précis (iPad, keytar et autres anachronismes technos) seraient utilisés. Un concert d’une heure cinquante minutes, top chrono, lequel rassembla les plus grands tubes du roi de l’électro-pop (Oxygène 2 et 4, Équinoxe 4 et 7), mais surtout les plus récents morceaux de l’album Électronica, réalisé en collaboration avec plusieurs artistes phares du monde de l’électro. Voyez à ce sujet notre entrevue avec Jean-Michel Jarre réalisée plus tôt cette année.
Les pièces jouées avaient reçu un traitement béton, lequel s’apparentait davantage à une rêverie Trance qu’à des morceaux qui furent souvent à torts caractérisés de « New Age » lors de leur apparition dans les années 1970. Une façon pour l’artiste de renouveler son public et démontrer encore une fois sa pertinence malgré cette longue carrière qui n’aura somme toute jamais été influencée par la mode de son temps.
La scénographie était colossale. Un immense rideau de diodes coulissait horizontalement, masquant les musiciens derrière une animation ou un panache de lumières. Derrière, d’autres écrans faisaient l’écho de l’écran principal, ce qui donnait un effet de profondeur créant une sorte de troisième dimension. C’était avant l’apparition de la fameuse harpe-laser, un délire geek tout droit sorti du fantasme technologique des années 80, qui mis la table pour une succession de lasers déchainant l’espace dans une scénographie jamais vue.
Peut-être cela est-il dû au passage du temps et à une mémoire défaillante de ces concerts mythiques des années 1990 qui ont bercé l’enfance de plusieurs des spectateurs. Ou alors à une réinterprétation émotive de strates mnémoniques de nos souvenirs d’avoir tant rêvé de ce moment. Toujours est-il que l’enchainement et les arrangements des morceaux de jeudi soir ont parus somme toute robotisés, presque trop parfaits, trop cascadés, trop enchaînés, alors que dans les enregistrements de 30 ans d’âge des concerts légendaires de l’artiste, tout semblait si facile, si improvisé… si mythique finalement.
Bien dissimulé derrière plusieurs boucles de playback, caché derrière ses armoires à son, Jarre se livra toute de même à quelques glorieux solos dignes de la légende: une improvisation particulièrement sensible en finale d’Oxygène 2 ou alors une version délirante de Brick England (collaboration avec les Pet Shop Boys) interprétée au keytar, un synthétiseur en forme de guitare. Il en demeure toutefois que chaque morceau joué jeudi soir y reçut du grain de sel du maître : un son nouveau, un bruitage en direct qui se perd dans l’écho fantasmagorique d’une scénographie invraisemblable. Revendicateur, le visage du lanceur d’alertes Edward Snowden apparu sur ces écrans géants, livrant son message politique, Jarre s’étant rendu jusqu’à Moscou pour enregistrer la voix du personnage en exil et produire la pièce Exit, sorte de rave industriel de son temps. Peu après, dans The Architect, le Centre Bell se transforma en un immense navire stroboscopique de lumière blanche éblouissante.
Puis vers la fin du spectacle, Jarre sorti les gros canons: la mythique harpe-laser. La même qu’à La Défense, qu’à Moscou, qu’au désert de Masada, qui fit trépider les admirateurs dans une succession de rayons laser, un moment unique dans lequel les notes graves du synthétiseur Elka Syntex réchauffaient l’âme. Les synthétiseurs ont-ils des émotions? Durant ses 40 ans de carrière, Jean-Michel Jarre fit le pari que oui. Ce vaisseau des songes tripatifs rappelant l’univers d’Arthur C. Clarke et de Kubrick fut le véhicule visuel de cette musique nouvelle venue d’ailleurs, comme l’écho de cet être unique et interstellaire qu’est Jean-Michel Jarre.
Ce concert fut vraiment l’apogée absolu d’une nuit électronique sirupeuse. Il s’agissait probablement d’un événement historique, unique à Montréal, qui prouva surtout la pertinence de cet artiste légendaire qui ne cesse d’évoluer en phase avec son temps, en refusant le statu quo.
Les spectacles de Jarre sont toujours demeurés un moment de grâce éphémère, un peu comme un cirque de passage dans la ville présente du rêve, puis plie subtilement bagage la nuit suivante, préservant notre rêve d’enfant scellé dans un imaginaire transatlantique qui ne peut être reproduit.
Après un rappel de quatre chansons dont Zoolookologie, pièce très rarement jouée en concert, Jarre le mythique gratifia le public de son Oxygène 4, hymne majeur de l’histoire de la pop. Entourés d’une constellation de diodes blanchâtres émanant des téléphones portables disposés dans cet hémisphère clos, enveloppant les spectateurs dans ce voile hors du temps, ceux-ci devenaient avec lui les architectes du futur, eux aussi des objets de lumière.
Photos: Xavier Proulx / Pieuvre.ca
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