Le gouvernement du Nicaragua a donné carte blanche à la compagnie chinoise HKND pour construire un canal interocéanique. En deçà des conséquences géopolitiques potentielles, les campagnards refusent de donner leurs terres, rapporte le quotidien espagnol El País le 28 avril.
Celle que l’on appelle « Doña Francisca » ou « Doña Chica » n’a pas voté pour Daniel Ortega quand il est revenu au pouvoir en 2006, mais Francisca Ramírez de son vrai nom était sûre qu’il constituerait un bon gouvernement en apprenant des leçons du passé. Quand elle a appris que le nouveau président avait signé un traité pour la construction d’un canal interocéanique au mois de juin de l’année 2014 avec un homme d’affaires chinois nommé Wang Ying, elle voyait le projet qui plane dans l’imaginaire nicaraguayen depuis des siècles d’un bon œil.
Le ministre des Politiques publiques avait annoncé de la création de richesse et de la prospérité pour tous, dont une augmentation du produit intérieur brut entre 10% et 14%, ainsi que 50 000 emplois avec des salaires incroyablement élevés. S’étendant sur 286 km de long au coût de 50 000 millions $, ce projet d’ingénierie de grande envergure va générer 5500 millions $ et devrait être terminé en six ans, à l’aide d’une foule de travailleurs chinois responsables des aspects techniques.
Pour sa part, le Consejo Nacional de Universidades a annoncé des changements drastiques dans les cursus universitaires, dont l’inclusion du mandarin parlé par les Chinois et de nouvelles carrières en lien avec le canal: hydrologie, océanographie et ingénierie nautique. De plus, l’agriculture devrait s’orienter de façon à produire les aliments préférés des Chinois. À cela, s’ajouterait la mise en place d’un oléoduc, d’un chemin de fer à haute vitesse, d’une autoroute, d’un aéroport, d’un port maritime automatisé, de nouvelles villes, des complexes touristiques et d’une zone de libre-échange.
Les préoccupations de Francisca Ramírez ont commencé au moment où elle a mis la main sur l’Acuerdo Marco de Concesión e Implementación del Canal de Nicaragua que l’Asamblea Nacional a transformé en Loi 840 en un temps record de 72 heures. Étrangement, le texte est d’abord paru en langue anglaise dans La Gaceta le 24 juin 2013. La dernière fois qu’on a publié un texte officiel en anglais dans ce pays hispanophone, c’est quand le flibustier américain William Walker a pris le pouvoir du pays en 1855. Se faisant élire président du Nicaragua, il a publié les lois et les décrets dans le quotidien officiel de l’époque El Nicaragüense en anglais.
Terres convoitées
Aujourd’hui, Francisca Ramírez connaît le texte de fond en comble : « Nous commençons à rassembler 10, 20 agriculteurs pour évaluer chaque article et nous apprenons la loi. Nous devons mémoriser les 25 articles parce que nous devons contrer tous les mensonges du gouvernement. Par exemple, la loi dit que la protection de l’eau est la priorité du projet de canal, mais nous voyons que le grand lac Cocibolca va devenir un marais ».
La situation est devenue de plus en plus alarmante à mesure que de plus en plus de campagnards ont joint les groupes d’études dans les différentes régions. « Nos terres sont en péril, et nous disons: « Ça ne se peut pas. » Nous commençons à nous organiser. Le mouvement a commencé dans les colonies de La Fonseca, El Tule et Puerto Príncipe et s’est étendu à mesure que les gens ont pris conscience de la loi », a-t-elle affirmé.
Doña Francisca n’a complété que la troisième année au niveau primaire, mais les agriculteurs de son entourage ont toujours eu confiance dans ses conseils parce qu’ils savent qu’elle a un bon jugement et qu’elle est honnête. Ils pensent que si elle a su les conseiller sur comment semer sur leurs terres, elle saura entrer dans leurs têtes pour les défendre, sans qu’ils se trompent. C’est une dirigeante née qui n’appartient à aucun parti politique.
Front commun
Le Consejo Nacional en Defensa de la Tierra, Lago y Soberanía s’est formé. « En tant que campagnards, nous ne savons rien d’autre que cultiver la terre. De quoi va-t-on vivre sans elle ? L’article 12 de la loi dit que n’importe quel individu qui n’a pas de titre de propriété renouvelé depuis que la loi a été adoptée n’a pas droit à un sou, de sorte que ces terres sont offertes au Chinois Wang Ying. Au même moment, on leur offre le Gran Lago du Nicaragua. On leur offre la moitié du pays. On leur offre la souveraineté », a expliqué Francisca Ramírez.
Valable durant 100 ans, le traité n’établit aucune autre obligation envers le concessionnaire qu’un maigre versement annuel issu du droit de passage. Les autorités du Nicaragua ont renoncé à exercer quelconque autorité judiciaire, administrative, professionnelle, sécuritaire, migratoire, fiscale et monétaire sur les territoires consentis au canal en faveur de HKND, la compagnie de Wang Ying enregistrée dans les îles Caïmans. De plus, les réserves de la Banque Centrale demeurent une garantie au cas où il y aurait des manquements de la part de l’État.
Francisca Ramírez souhaite que le canal ne se construise pas, rappelant que le Gran Lago menacé est une source d’eau potable pour le Nicaragua. « Wang Ying part avec un chèque en blanc en poche. Il peut vendre le territoire du Nicaragua à quiconque, il l’a reçu par le seau. Nous les Nicaraguayens, nous devons nous organiser pour parvenir à la dérogation de cette loi et pour obtenir la concession ».
Le projet de canal interocéanique au Nicaragua crée une brèche dans la zone de Partenariat transpacifique (TPP). Si le président américain n’y voit pas un enjeu stratégique, les Cubains ont compris qu’il valait mieux adapter le port de Santiago à l’arrivée massive de cargos.