Ce qui devait arriver arriva: le nouveau président américain, fort de son cortège de bénis oui-oui, a décidé de « punir » son homologue syrien Bachar al-Assad pour l’attaque au gaz menée contre des civils, plus tôt cette semaine, et a bombardé l’aéroport militaire syrien d’où aurait été lancé l’ignoble assaut.
Oublions un instant que Trump lui-même ait, par le passé, condamné à plusieurs reprises l’intention – avouable ou avouée – du président Obama d’attaquer les forces de Damas après une attaque similaire, en 2012. Oublions aussi la déclaration abracadabrante de la Maison-Blanche en réaction à ce nouveau gazage de civils innocents, où il est inscrit noir sur blanc « qu’en 2012, l’administration précédente (ce même Obama) avait tracé une ligne rouge à l’utilisation de gaz de combat, mais qu’elle n’a ensuite rien fait ».
À l’annonce des frappes, jeudi soir, la première réaction fut sans doute: « Est-ce le début de la Troisième Guerre mondiale? ». Car la Syrie est une poudrière aux proportions gigantesques, un melting-pot meurtrier où s’affrontent, directement ou par des intermédiaires, presque toutes les grandes puissances géopolitiques du moment, en plus de mouvements, nations, groupes et factions régionaux de moindre importance. Les Américains, les Russes, les Irakiens, les Iraniens, les Français, les Canadiens, les Syriens pro-Assad, les Syriens anti-Assad, les intégristes du groupe armé État islamique, les intégristes d’al-Qaïda (hé oui, ils sont encore là!), les intégristes du Hezbollah, les Israéliens, les Kurdes, les Turcs… Oublie-t-on quelqu’un?
En six ans de guerre civile, le territoire syrien, déjà étrangement découpé par les puissances occidentales au sortir de la Première Guerre mondiale et de l’effondrement définitif de l’Empire ottoman, est devenu un incroyable bourbier où les intérêts géostratégiques, économiques et politiques s’entrecroisent dans un ballet explosif et meurtrier. Chacun veut défendre sa position, tout en cherchant à ménager ses alliés et potentiels adversaires.
Il n’était alors pas étonnant que l’administration Obama n’a jamais vraiment su sur quel pied danser dans ce dossier. Après tout, les aventures irakiennes et afghanes ne sont pas encore tout à fait terminées, et la population américaine en a plus qu’assez d’envoyer ses boys mourir dans les sables et les montages du Moyen-Orient sans porte de sortie envisageable. Elle est bien loin, l’époque de la victoire claire contre un ennemi bien défini. Cela fera bientôt 80 ans que l’adversaire ne porte plus un uniforme bien identifié, mais préfère plutôt les vêtements civils, histoire de se fondre dans la masse et de frapper sournoisement, bien souvent en tuant des citoyens innocents par la même occasion. Que peuvent tous les missiles, les chars, les avions et les mitrailleuses contre une guérilla alimentée par des dizaines, voire des centaines de courants divergents?
Cela ne veut pas dire que le régime sanguinaire de Bachar al-Assad doit avoir les coudées franches. Le président syrien est un tyran visiblement déterminé à faire disparaître sous les bombes et les gravats autant de « terroristes » (tous ceux qui sont en désaccord avec lui) que nécessaire pour ramener la stabilité dans son pays. Qu’importe si une partie du territoire tombe entre les mains des extrémistes. Si ceux-ci peuvent être minimalement contenus, ils occuperont les autres opposants, les rebelles un peu plus modérés qui représentent la véritable menace envers Damas.
Mais la solution ne consiste pas à tapisser la Syrie sous les bombes. D’abord parce qu’il ne reste déjà plus tant de choses à détruire, et ensuite parce que, comme l’a prouvé la guerre en Irak, foncer tête première sans plan pour la suite ouvre directement la voie à une possible guerre civile, et éventuellement à la naissance d’un mouvement extrémiste rassemblant les caciques de l’ancien régime et les laissés pour compte.
Trump et son (petit) fusil
Il est fort peu probable que le président américain comprenne les tenants et les aboutissants de la diplomatie internationale. Pour cet hommes d’affaires, si vous ne gagnez pas, c’est que vous perdez. Et si l’histoire des conflits du 20e siècle et du début du 21e a bien démontré quelque chose, c’est que les jeux à somme nulle sont particulièrement dangereux.
D’aucuns souligneront que cette frappe aux missiles de croisière vient confirmer l’effritement du rapprochement entre Moscou et Washington. Après tout, le Kremlin a condamné le bombardement, parlant d’une « violation du droit internationale ». De la part d’un pays ayant carrément envahi son voisin ukrainien, avant de carrément annexer la province de Crimée, cette accusation est hilarante, mais n’oublions pas non plus que selon les informations qui commencent à circuler, Moscou aurait été prévenue de l’imminence des frappes américaines. Et puisque Damas est l’alliée de Moscou, les forces syriennes auraient elles aussi été mises au courant de l’approche des missiles. Comme méthode de dissuasion militaire, comme poing frappant sur la table, on repassera.
Bref, cet instant de machisme militaire de la part du président américain ne ramènera pas les parties à la table des négociations en vue d’un règlement diplomatique de la crise, et ne servira sans doute qu’à envenimer les choses. Monsieur Trump, êtes-vous déjà fatigué de gagner constamment? « Nobody knew that it was so complicated », lançait le principal intéressé à propos de la réforme de l’assurance-santé. Et s’il ne réussit même pas à mater les extrémistes de son propre parti, qu’arrivera-t-il avec les vrais intégristes et les nations ennemies?