Dans un bunker caché quelque part sous une montagne, un commandant a le regard fixé sur une carte du monde où clignotent des symboles colorés. Soudain, la pièce tremble: une bombe vient de tomber non loin de là, détruisant l’aéroport militaire voisin.
Cette scène pourrait se retrouver dans n’importe quel film sur la Guerre froide. Il s’agit plutôt de Defcon, un jeu développé par Introversion Software, où l’enjeu est simple: tuer le plus d’ennemis possible. Ou s’agit-il plutôt de commettre un génocide à l’aide du feu nucléaire?
Pour gagner, il faut détruire les centres de population de, ou des adversaires. Et pour ce faire, un arsenal est mis à la disposition du joueur: bombardiers, sous-marins, silos lance-missiles… Tous sont munis d’ogives atomiques, mais leur portée et leur fragilité diffèrent. Le commandant doit ainsi agir en fonction des opportunités offertes. S’il sera relativement aisé d’attaquer l’un des territoires voisins (la carte du monde est séparée en continents, pour un maximum de six joueurs, avec l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud, l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient, la Russie et l’Asie du Sud-Est), s’en prendre à quelqu’un réfugié à l’autre bout du monde nécessitera de repenser les stratégies employées.
Il ne faut pas oublier non plus que la particularité de Defcon repose sur un principe fondamental: tout le monde meurt. Ainsi, si chaque million d’habitants éliminés permet d’engranger un point, chaque million perdu retranche deux points à ce même total. Pour « gagner » une partie, il faut donc jouer d’audace et lancer toutes ses armes nucléaires en même temps, en espérant passer outre les défenses de l’adversaire, ou jouer de subtilité, en tant bien sûr compte des délais nécessaires pour modifier sa stratégie, le cas échéant. Après tout, les silos peuvent à la fois lancer des missiles et servir de système antimissile. Mais entre les deux modes, plusieurs minutes peuvent s’écouler, donnant autant de temps à l’adversaire pour envoyer des bombes sur vos métropoles. Pire encore, enfoncer le bouton rouge et déclencher l’apocalypse révèle la position des pas de tir. Ce n’est pas si mal lorsqu’il s’agit de sous-marins capables de plonger sous l’eau, mais les silos sont évidemment solidement construits en un seul endroit.
Avec ses graphiques en « fil de fer » ressemblant aux jeux vidéo des années 1970 et du début des années 1980, Defcon a été inspiré par l’indémodable classique Wargames. Cette fois, le jeu est toutefois bien « réel », et si la meilleure solution est encore de ne pas jouer, tout simplement, la mort devra faucher des vies par millions pour qu’une partie s’achève.
En fait, jouer à Defcon n’est pas spécialement plaisant, du moins pas dans le sens classique du terme. Il n’y a pas de musique de triomphe lorsqu’une bombe nucléaire tombe sur une ville ennemie. Personne pour applaudir dans votre bunker blindé. La musique, éthérée, a des accents vaguement déprimants, et, de temps en temps, quelqu’un semblera laisser échapper des sanglots. Sur l’écran, ce sont des chiffres et des icônes qui s’affichent. Mais sur le terrain, c’est la fin du monde, la chute de la civilisation.
À la fin de Defcon, point de félicitations, non plus. Il ne restera plus que quelques navires de guerre endommagés naviguant de peine et de misère sur des eaux remplies d’épaves, des avions écrasés au sol près de pistes d’atterrissage soufflées par des explosions atomiques, et les ruines de métropoles luisant d’une lumière radioactive malsaine.
En ce sens, Introversion Software a produit un jeu singulier qui intéressera les amateurs de titres de stratégie, mais surtout un pamphlet contre la guerre et la déshumanisation de l’ultime affrontement, celui qui signifiera la fin de la vie sur Terre telle que nous la connaissons.