Dans un monde perpétuellement plongé en guerre, où la liberté de pensée s’est peu à peu effacée face à la résignation et à l’acception de l’institutionnalisation de la violence par les autorités, une jeune femme tente de faire la différence. Ou, du moins, de surnager assez longtemps pour reprendre son souffle.
Écrite par Caryl Churchill et montée sur les planches du Prospero par les Théâtres Blanc et L’Escaouette, Far Away se déroule dans un futur imprécis où un pouvoir autoritaire s’est mis en place. Dans un univers faisant penser aux tenues fantasmagoriques des élites de la capitale dans Hunger Games, des citoyens ordinaires semblent se livrer une féroce compétition pour obtenir un poste de créateur de chapeaux, chapeaux qui seront présentés lors d’un défilé.
Jusque là, rien de spectaculaire, mais en écoutant attentivement les dialogues, on sent qu’il y a quelque chose de particulièrement troublant sous la surface. Corruption, violence, disparitions, apathie… Tout le monde semble savoir que la société est gangrenée. Mais puisque le fait d’élever la voix semble condamner les trouble-fête à une disparition rapide, personne ne pipe mot.
En ce sens, Far Away rappelle aussi 1984… oeuvre d’ailleurs reprise par Mme Churchill au théâtre dans une pièce du même nom. L’ennemi a beau être anonyme, il semble omniprésent. Mais existe-t-il vraiment? Nul ne le sait, même si le texte semble plutôt adopter l’approche inverse. Au lieu d’un seul adversaire (ou deux qui s’échangent le rôle du méchant au fil du temps, comme dans le classique d’Orwell), l’humanité est scindée en un nombre incalculable de factions, elles mêmes alliées ou montées contre des animaux, des insectes, voire même des forces de la nature. Alors que cette pulsion autodestructrice est poussée à son maximum, l’ambiance de la pièce en devient aussi glauque qu’absurde.
Mais si certains aspects du drame sont particulièrement bien réussis, tel ce costume fixé au décor dont l’actrice principale se débarrasse pour symboliser son passage à l’âge adulte, Far Away n’a malheureusement pas les moyens de ses ambitions. Au lieu de donner dans la subtilité lors du défilé de chapeaux, par exemple, où les « mannequins » portant les créations sont des prisonniers voués à la mort s’ils sont battus, ou même s’ils gagnent, on emploie un absurde extrait sonore d’une décharge de mitrailleuse. Pire encore, cette séquence dure si longtemps que l’intérêt du début a eu le temps de se muer en ennui, puis en fou rire. Avez-vous bien compris que l’État est cruel et que les participants meurent? Non? Hé bien, voici le même message, répété sur fond de musique forte pendant les 10 prochaines minutes.
Il est dommage, donc, que Far Away s’enfarge à la mi-parcours. En cette époque aux allures de dystopie, la fiction n’est hélas pas à la hauteur de la réalité.