À l’exception du magasin IKEA et son procédé particulier, le commun des mortels a peu accès aux cultures nordiques qui planent dans nos imaginaires via les contes d’Andersen, la musique d’ABBA et les vestiges archéologiques de Terre-Neuve.
La membre du comité de direction et chercheure principale de l’équipe IRSC du Centre Léa-Roback, Marie-France Raynault et le professeur à l’École nationale d’administration publique (ENAP), Stéphane Paquin ont présenté la conférence Les pays scandinaves détiendraient-ils une partie de la solution ?, le 22 mars à l’ENAP dans le cadre du Festival FIKAS.
Après que l’ex-rédacteur en chef du quotidien Ottawa Citizen et maintenant ex-directeur de l’Institut des études canadiennes à l’Université McGill, Andrew Potter eut décrit la société québécoise comme étant dysfonctionnelle dans un article publié par le magazine Maclean’s le 20 mars, la société distincte d’Amérique du Nord a eu droit à un tout autre examen de conscience en tant qu’objet de comparaison avec les sociétés nordiques. Le professeur Stéphane Paquin a souligné que le Québec a pris du recul ces deux dernières années étant plus près de la social-démocratie scandinave que les autres provinces canadiennes blotties dans le même système néolibéral que le Royaume-Uni et les États-Unis. D’ailleurs, pourquoi M. Paquin n’inviterait pas M. Potter à dîner chez Toqué! ou chez Joe Beef pour l’entretenir sur les politiques de resserrement budgétaire ?
De prime abord, les deux conférenciers ont commencé leur présentation en excluant de leurs études statistiques la capitale de l’Islande, Reykjavik sous prétexte que cette agglomération est trop petite, voir l’équivalent de la ville de Sherbrooke. La Scandinavie qui nous était présentée en chiffres et en graphiques se constituait des capitales Oslo, Copenhague, Stockholm, ainsi qu’Helsinki même si la Finlande fait partie de cet amalgame par défaut, notamment par sa langue propre. Cet échantillonnage devient représentatif lorsque les conférenciers nous expliquent que les administrations municipales disposent de beaucoup de pouvoirs parce que soutenues par un État providence, à l’opposé du gouvernement canadien très centralisateur, dont la bisbille entourant les versements aux provinces.
Urbanisme à point
Mme Raynault a mis en avant-plan la vision d’ensemble des peuples nordiques de sorte qu’ils prévoient longtemps à l’avance l’application de politiques, sans faire de compromis. Sous l’objectif de développement durable, il s’agit de faire l’équilibre entre la santé publique, le développement économique et l’environnement. Cette aptitude à prévoir longtemps à l’avance a rendu ces peuples avant-gardistes, notamment par l’installation de stations d’essence à carburant alternatif à Stockholm dès 1994. Il ne s’agissait pas que de faire une demande de financement, le système suédois a tout coordonné : les sociétés pétrolières ont reçu un financement pour développer le carburant, une aide a été accordée au secteur privé pour développer la voiture, la ville a acheté quatre modèles de véhicule, ainsi qu’une opération « marketing » a été lancée, des voitures ont été données à des journalistes et à des entrepreneurs pour faire connaître cette technologie verte.
« Il y a deux choses que je fais à Montréal que je ne faisais pas dans les villes nordiques: courir après un autobus et être paranoïaque en traversant la rue », a affirmé Mme Raynault. « Accroître les fréquences », énonce-t-elle comme le mot clé pour diminuer la circulation et augmenter le nombre d’autobus pour une gestion du transport efficace. Dans la même veine, Mme Reynault a relevé qu’ici on emploie souvent l’argument de la « culture » pour justifier que chacun puisse posséder son propre véhicule. « Quand il y a quelque chose d’important aux États-Unis, on ne se demande pas si c’est importable ? », a-t-elle lancé pour nous rappeler que l’on peut s’inspirer d’autres modèles à travers le monde.
Syndiqués et compétitifs
La coordination effective des peuples nordiques est le produit d’un contexte social mis en place par les syndicats depuis 1950. Ces organisations ont exigé de bonnes conditions pour les travailleurs tout en étant compétitives par le refus du sauvetage des entreprises en banqueroute. Suivant la logique qu’il revient à l’État d’amortir les chocs économiques plutôt qu’à l’individu, le travailleur nordique dispose de mesures pour se requalifier et l’entrepreneur dont l’entreprise est un fardeau pour l’économie ne recevra pas d’aide du gouvernement comme on le fait ailleurs. Au fil des décennies, ils ont développé des moyens de tout rationner, rien n’est laissé au hasard, et tout est transparent de sorte que chaque citoyen peut consulter la déclaration de revenus de son voisin, synthétise M. Paquin.
Le bilan statistique des pays nordiques les rend fascinants puisqu’ils contredisent l’ensemble des idées reçues en Occident. D’une part, ce système social-démocrate a non seulement survécu, mais prospère grâce à la mondialisation. D’autre part, les citoyens nordiques très taxés et syndiqués génèrent plus de dépenses publiques de même que plus de développement économique tout en enregistrant peu d’inégalités entre les riches et les pauvres.
Échantillonnage limité
Au moment où M. Paquin a décrié le modèle méditerranéen incluant le Portugal, l’Italie, la Grèce et l’Espagne, on pouvait se questionner sur la nature du rire des étudiants universitaires dans la salle. À savoir s’il s’agissait d’un rire moqueur, empathique ou jaune. Il est vrai que ces quatre pays que certains anglophones ont condamnés sous l’acronyme « P.I.G.S. » pourraient être considérés comme des entreprises en banqueroute, à rejeter. N’empêche que ce rejet n’est pas souhaitable.
Le psychologue social de l’Université de Valence en Espagne, Enrique Gracia et de l’épidémiologiste social de l’Université de Lund en Suède, Juan Merlo mènent des recherches sur le « paradoxe nordique », c’est-à-dire que l’égalité exemplaire entre les sexes des peuples nordiques est doublée d’un taux de violence conjugale envers les femmes très élevé. En Suède, en moyenne 13 femmes décèdent de crimes passionnels par année sur une population de 10 millions d’habitants, alors qu’en Espagne le ratio est de 44 décès pour 46,5 millions d’habitants en 2016, rapporte le quotidien espagnol El Pais le 5 mars.
À l’ENAP, lorsqu’un étudiant a demandé si les autorités nordiques avaient développé des moyens de contrer l’évasion fiscale, il a eu droit à une réponse assez évasive des deux conférenciers. Pourtant, si la capitale Reykjavik où vit plus de la moitié des Islandais n’avait pas été exclue de l’échantillonnage, on aurait pu lui répondre que quatre banquiers purgent actuellement leur peine pour ce délit et que malgré ses mauvaises performances dans les sondages, l’Espagne a emboité le pas avec des peines aussi sévères.
Tel le pendule de Newton, la vision technocrate de la Scandinavie tente d’exclure l’Islande pour inclure la Finlande. « Il n’y a que les poissons morts qui suivent le ruisseau », une expression finnoise évoquée par l’éducateur et auteur finnois Pasi Sahlberg sur le site The Conversation en 2015. Cette image illustre, entre autres, le succès de l’éducation finlandaise dont la dernière réforme mise en place en 2016 a pour objectif de soustraire leur système aux classements internationaux.
En somme, mieux vaut entendre parler des peuples nordiques d’une façon idéalisée que de les ignorer, sans oublier que ce n’est pas le socialiste du Vermont qui siège à Washington.