En lisant le programme de la pièce de théâtre Le Lac aux deux falaises, où le metteur en scène Louis-Dominique Lavigne décrit une région lointaine où opère « une magie rugueuse comme le roc », je me suis instantanément imaginé une version acadienne des contes villageois de Fred Pellerin.
Coproduite par le théâtre l’Escaouette de Moncton et le Théâtre de Quartier de Montréal, Le Lac aux deux falaises reprend le texte de l’auteur acadien Gabriel Robichaud. Selon le programme, Lavigne est inspiré par la richesse des possibilités scéniques que suggère son « approche onirique du réel ». La pièce nous est livrée par les comédiens Eric Butler, Marc-André Robichaud et Jeanne Gionnet-Lavigne, jouant les rôles de Pépère, Ti-Gars et « la fille du lac ».
D’abord destiné à un public adolescent, bien qu’il soit tout aussi appréciable pour des adultes, ce conte villageois prenant forme dans la petite salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier est presque fantastique, presque merveilleux, mais pas tout à fait. Un long texte du programme précise d’ailleurs le type de registre dont il est question en nous expliquant le « réalisme magique ».
Si les comédiens s’adonnent à un jeu plutôt réaliste, différents éléments de l’histoire amènent la magie, comme les apparitions impromptues de la fille du lac qui n’existe que dans l’imaginaire de Ti-Gars, jeune homme de dix-sept ans. L’onirisme est d’ailleurs renforcé par la relation que les personnages entretiennent avec leur environnement, dans une scénographie presque minimaliste signée Joëlle Péloquin. Si les décors des spectacles jeune public sont souvent très exubérants, celui-ci propose un aménagement de l’espace plutôt modeste et apaisant, laissant une grande place à l’imagination du spectateur. Une série de structures géométriques noires élancées verticalement permet aux personnages de s’élever, devenant tour à tour arbres, bateau de pêche, puis falaise. Évoquant un paysage champêtre, l’arrière-scène est parsemée de jolies maisons miniatures faites d’un matériau semi-transparent. Disposées devant un fond d’abord bleu qui changera de couleur tout au long de la pièce, elles permettent un jeu de lumière et de perspective intéressant. Doux et graduel, le changement de couleur témoigne du passage du temps. Essaie-t-on d’évoquer les changements de luminosité durant la journée? Veut-on démontrer le changement des saisons?
Dans la pièce, la fille du lac aide Ti-Gars à s’évader, à se sortir du cercle vicieux d’ennui dont il se plaint dès le début du spectacle et dans lequel il trouve pourtant une complaisance. Parfois, « t’es tellement écoeuré que t’aimes ça », nous lance-t-il avec amertume. Adolescent, orphelin, vivant dans une maison de campagne au milieu de nulle part avec son grand-père qu’il appelle Pépère, routinier et craintif, Ti-Gars semble peu stimulé. La suite est cependant encourageante, puisque l’attitude de Ti-Gars changera. Il sera motivé par une soif d’accomplissement, désirant réaliser différents défis. S’il est inspirant pour les spectateurs, il le sera tout autant pour son grand-père. Il est d’ailleurs touchant de voir ce dernier s’inquiéter pour son Ti-Gars, puis l’écouter, puis être fier de lui. Eric Butler nous livre une interprétation émouvante et juste du personnage de Pépère, qu’on sent déchiré entre son désir de protéger son petit-fils et celui de le voir s’épanouir. La pièce porte un beau message pour de jeunes adolescents en transition vers l’âge adulte.
D’ailleurs, la mission de l’équipe dépasse celle du spectacle lui-même, en proposant divers outils pédagogiques permettant aux écoles de préparer leurs élèves, de les encadrer dans cette expérience de représentation scénique. Il s’agit d’une pièce qui, bien qu’elle présente différents confits entre les trois personnages, nous laisse sur un sentiment de douceur qui fait du bien. Présentée jusqu’au 25 mars au Théâtre Denise-Pelletier, elle gagnerait à être reçue non seulement en groupes scolaires, mais en famille.