Si un de vos souvenirs est partagé à travers un groupe, il a davantage de chances de s’enraciner profondément dans votre cerveau. Et ce, même s’il s’agit d’un faux souvenir. Or, à l’heure de Facebook, ce phénomène est en train de prendre une nouvelle importance.
Que la mémoire soit faillible, c’est un fait connu. Que nos souvenirs d’un événement puissent être altérés par le récit que nos amis ou notre famille ont fait de cet événement est pris pour acquis en psychologie cognitive: nos souvenirs sont plus « malléables » que nous ne voulons l’admettre, tout dépendant des groupes dont nous faisons partie — ou des gens avec qui nous partageons des souvenirs.
Or, comment cette réalité se transpose-t-elle sur les réseaux sociaux? « Les souvenirs sont partagés à travers les groupes de façon différente sur Facebook et Instagram, obscurcissant la ligne entre souvenirs individuels et collectifs », s’inquiète dans un reportage de la revue Nature le psychologue Daniel Schacter, de l’Université Harvard. Si leurs inquiétudes s’avèrent fondées, il faut y voir du travail en perspective pour ceux qui luttent contre la désinformation: parce qu’en plus de devoir tenir compte du biais de confirmation — cette tendance à n’écouter que les opinions qui confirment notre opinion — il faut aussi essayer de comprendre comment telle fausse nouvelle s’est rendue jusqu’à telle personne.
Par exemple: la nouvelle lui a-t-elle été transmise par un inconnu ou par un proche? Une recherche de l’Université Princeton en 2015 concluait qu’un souvenir a davantage de chances de s’enraciner lorsqu’il nous arrive de quelqu’un qui fait partie de notre « groupe social ». Et ça ne se limite pas à des souvenirs personnels: un groupe peut aussi faire en sorte qu’à la longue, on ne se souvient plus de l’événement original, mais de la vision que nous en transmet le groupe.
C’est ce qui pourrait expliquer que des gens qui lisent aujourd’hui une fausse nouvelle et sa correction, continueront de croire à la fausse nouvelle dans quelques années, si celle-ci a réussi à s’imposer dans leurs réseaux. Le conditionnel est toutefois important ici, et des équipes de psychologues, notamment aux États-Unis, tentent en ce moment de profiter de l’opportunité que représente Facebook pour vérifier cette théorie: observer comment et par qui une nouvelle est diffusée, ce qui se passe lorsqu’on change de « diffuseur », etc.
L’ordre dans lequel les informations sont diffusées a également beaucoup d’importance, résume Nature, même si une nouvelle émane d’un « lien faible », c’est-à-dire une personne faiblement associée au réseau social: « L’information introduite par un lien faible est beaucoup plus susceptible de façonner la mémoire du réseau si elle est introduite avant que ses membres n’en aient parlé entre eux. [À l’inverse], une fois qu’un réseau s’est entendu sur ce qui s’est produit, la mémoire collective devient plus résistante à une information contradictoire ».
L’existence d’une telle « mémoire collective », comme l’appellent les psychologues, est une arme à double tranchant: autant on peut cibler ce groupe pour empêcher une fausse information de se répandre, autant on peut se servir du groupe pour répandre une fausse information. À condition de savoir sur quels « boutons » peser.