Le brillant cinéaste sud-coréen Park Chan-wook ne fait rien comme personne, mais sait toujours comment offrir sa vision singulière du monde et sa plus récente offrande, le sulfureux Ah-Ga-Ssi, aussi connu sous le titre The Handmaiden ou Mademoiselle, est une nouvelle proposition savoureusement jouissive qu’on peut enfin attraper et/ou revoir chez soi.
Assagi de sa première expérience américaine avec le mésestimé Stoker qui mettait notamment en vedette Nicole Kidman, Park se retrouve encore en parfaite maîtrise de sa technique et a ici envie de s’amuser avec la narration. Il se jouera ainsi habilement des trois parties distinctes du roman victorien Fingersmith de Sarah Waters, un peu comme l’a osé Gillian Flynn avec sa propre adaptation de son Gone Girl, pour se permettre encore une exploration libre de l’amour et de la dévotion. Ce sens de la liberté machiavéliquement très libertine, il va sans dire, n’est pas sans rappeler sa vision inattendue du Thérèse Raquin de Zola, qu’il avait transformé en exquise fable vampirique, encore ici fortement sous-estimée.
Exit toutefois le fantastique et place à un contexte historique chaud, dans une Corée du Sud en pleine occupation japonaise, un peu comme le racontait le plus convenu The Age of Shadows de Kim Jee-woon. Cependant, s’il ne manque pas de donner son subtil avis sur ces temps troubles, Park n’en fait pas un film historique, pas plus qu’il n’en fait un film d’homosexualité au féminin, empêchant le film d’être tristement catégorisé dans un créneau limité comme l’était et le sera probablement toujours La vie d’Adèle: chapitres 1 et 2 de Kechiche.
Au contraire, pour ceux connaissant bien le cinéaste, ce sera encore une fois l’occasion de livrer une toute nouvelle variation sur son thème fétiche: la vengeance. C’est donc dans une leçon de cinéma qu’il exploitera les nombreux thèmes d’impostures, de traîtrises, d’alliances, de revirements inattendus et autres, qu’on essaiera de démêler le vrai et le faux dans cette histoire d’arnaque décidément très tordue, mais aussi de points de vue tous plus subjectifs les uns des autres.
Par contre, si l’intérêt du spectateur est constamment relevé et que l’ennui ne se pointe jamais le nez du haut de ses 144 minutes, ce qui surprendra le plus c’est la gentillesse de ce récit, à mille lieues des explorations beaucoup plus violentes et sanglantes du cinéaste. Avec une fin plus joyeuse que toute sa filmographie réunie, prônant encore un désir de liberté apparaissant dans sa forme la plus inattendue, Park se montrera d’une grande sagesse au bout du compte, mais ça ne l’empêchera pas de livrer une œuvre minutieuse qui jouera intelligemment avec son audience, en particulier grâce à son excellent jeu de montage, créant des ellipses d’un rare brio, construisant subtilement un casse-tête qui tarde toujours un peu plus à nous révéler tous les secrets du film.
Après tout, en plus d’une distribution qui n’a pas peur de nuancer son jeu pour mener en bateau les uns et les autres, autant à l’écran que devant l’écran, l’équipe technique, fidèles collaborateurs du réalisateur, sauront aussi excellents qu’à leur habitude. On pense entre autres au compositeur Jo Yeong-wook, mais aussi au brillant directeur photo Chung Chung-hoon.
Enfin, sans être l’offrande maîtresse d’une filmographie sans failles, voilà tout de même un autre excellent film d’un grand cinéaste qui sait toujours comment se renouveler et récompenser son spectateur avec une œuvre d’un grand soin, mais aussi d’une succulente intelligence, autant au niveau du fond que de la forme. Un long-métrage à accueillir, apprécier et savourer chaudement.
8/10
The Handmaiden est disponible en DVD et Blu-Ray en version originale coréenne et japonaise avec des sous-titres anglais ou français via Métropole Films depuis le 24 janvier dernier.