Adel Abdessemed n’est pas étranger à la controverse. Son œuvre Don’t Trust me, qui représentait des carcasses d’animaux abattus à coup de masse, avait été très mal reçue aux États-Unis, au point où le musée exposant, à San Francisco, avait dû annuler l’exposition à la dernière minute suite à la commotion.
Mais pour sa prochaine exposition au Musée des Beaux-Arts de Montréal, le plasticien franco-algérien tourne le spectre de la controverse vers une autre direction.
Au vernissage de l’exposition était présente la muse de sa plus récente œuvre, Phan Thị Kim Phúc, mieux connue sur le douloureux surnom de la « petite fille au napalm ». Immortalisée sous l’objectif du photographe Nick Ut lors de la guerre du Viêtnam, courant en hurlant de douleur après une attaque, Phúc est devenue par la suite une marionnette de propagande des communistes de son pays, et a réussi à s’échapper au Canada en 1994.
S’inspirant également de l’image de « l’enfant du ghetto de Varsovie », moins connue, mais tout aussi puissante, Adel Abdessemed fait de sa démarche un exercice qui force les spectateurs à se sentir comme ces enfants prisonniers d’un conflit dont ils ne sont pas responsables.
Deux sculptures représentant ces enfants photographiés se trouveraient normalement au milieu de la salle (elles n’y étaient pas au moment de la visite). Entourées de 38 dessins à la pierre noire, illustrant des soldats en action traquant ces sculptures, ces militaires nous assiègent donc également, et la perte d’innocence de ces enfants nous fait frappe d’autant plus. Nous sommes traqués, en joue comme le furent ces malheureuses victimes. La sobriété de l’œuvre, seulement en noir et blanc, donne au tout une sévérité appropriée. Les dessins semblent baigner dans une ambiance de cendre, lourde et pesante. Leur « saleté » si on veut, semble être en contraste avec les sculptures blanches innocentes.
C’est sous le thème de la paix que 2017 soulignera l’inauguration du Pavillon pour la Paix, ouvert en novembre dernier. Avec la future venue de Love is Love, mettant en vedettes des robes de mariées hétéroclites crées par Jean-Paul Gaultier, et entre autres l’exposition de la défunte photographe Leila Alaoui, tuée par Al-Qaïda à Ouagadougou, l’engagement du Musée semble clair: placer les visiteurs dans un contexte qui ne les oblige pas à prendre position, mais leur permet de réfléchir à ces enjeux.
Un thème cher à la directrice générale et conservatrice Nathalie Bondil, qui a souligné que le Musée travaillait dans l’intérêt des générations futures, à transmettre « des valeurs fortes de solidarité, d’entraide, que la politique ne peut pas détruire ».
Il était d’autant plus émouvant de visualiser l’œuvre d’Abdessemed en ce moment, et constater le peu de différences entre les Syrie d’aujourd’hui et les Viêtnam d’autrefois, triste ressemblance soulignée par la sérénité gracieuse de l’invitée d’honneur Phan Thị Kim Phúc. Elle s’est adressée à l’audience, lui demandant de la voir telle qu’elle est maintenant, et non plus comme la victime d’autrefois.
« Now, i don’t want you to see me as someone crying out of pain…but crying out for peace. »
Puissant plaidoyer d’une grande dame, qui fait raisonner toute l’œuvre en entier par son histoire.
Conflit, d’Adel Abdessemed, du 17 février au 7 mai 2017