Découvrabilité, algorithmes, intelligence artificielle, contenu-roi, transformations mondiales… Le paysage médiatique se transforme à grande vitesse ici comme ailleurs, et le Fonds des médias du Canada (FMC), avec l’édition 2017 de son Rapport de tendances, tente d’y voir un peu plus clair.
Au-delà des déclarations grandiloquentes de la ministre de Patrimoine Canadien, Mélanie Joly, qui martèle à qui veut bien l’entendre qu’il faut saisir au bond l’élusif « virage numérique », les producteurs de contenus canadiens et d’ailleurs dans le monde sont effectivement confronté à des exigences changeantes, de la part des publics, en matière de production, de diffusion et de consommation de contenus. Comme le mentionne le FMC dans son rapport, « la révolution numérique, c’est d’abord cette extraordinaire multiplication des possibilités dans les modes de production, de distribution et de consommation des contenus médiatiques ».
Cette tendance lourde se traduit, dans le secteur télévisuel, par la prolifération des offres de consommation permettant de s’affranchir des carcans horaires bien présents pendant des décennies. Aujourd’hui, et en fait depuis quelque temps déjà, plus besoin de s’astreindre à s’installer devant le petit écran à heure fixe: l’époque est plutôt à la consommation immédiate partout, et surtout n’importe quand.
Cette flexibilité a ouvert la voie à un appétit plus grand de la part des téléspectateurs. Ainsi, « selon l’équipe de recherche du réseau américain FX, les séries originales pour la télévision ont plus que doublé en six ans, atteignant un sommet de 455 nouvelles séries diffusées en 2016. Cette augmentation vertigineuse de l’offre qui a commencé en 2010 est essentiellement due aux
services de diffusion vidéo en continu (avec Netflix en tête) ».
Les jeux vidéo et la réalité virtuelle sont eux aussi de la partie, puisque les avancées technologiques sur ces plateformes ouvrent la voie à une redéfinition du cadre scénaristique. Les contenus pourraient ainsi être de plus en plus appelés à se transformer en « expériences interactives », où le télévore ou le cinéphile pourrait évoluer au sein de la production, plutôt que d’en rester le spectateur passif.
Toujours plus de temps devant l’écran
Pour consommer ces montagnes de contenus, il va de soi qu’il faut consacrer davantage d’heures à l’écoute, cet appétit se doublant d’une utilisation plus marquée de divers appareils technologiques.
Le FMC note ainsi qu’autant chez les téléphones intelligents que les tablettes ou les télévision connectées, l’outil crée le besoin, puisque l’on compte maintenant des appareils Android ou iOS dans 75% des foyers au pays, comparativement à une pénétration de 54% pour les tablettes, et une popularité de 40% pour les télévisions capables de se brancher au web.
Cette popularité toujours croissante ne signifie toutefois pas que la télévision en direct ait abandonné tout espoir et ait été remplacée par l’écoute en différé. Chaque semaine, le Canadien moyen passe ainsi encore un peu plus de 27 heures à consommer des images en direct, tandis qu’il ne consacre qu’un peu moins de sept heures à l’écoute de la télévision en ligne. Les habitudes semblent ainsi avoir la vie dure.
Tout cela fait en sorte que le mastodonte en matière de contenu demeure sans contredit la diffusion télévisuelle, un marché de 17,9 milliards $. Les artistes d’ici ne semblent toutefois pas toucher la plus grosse part de ce gâteau, puisque le montant consacré à la production nationale n’atteint que 2,6 milliards $, soit moins que l’industrie du jeu vidéo et ses 3 milliards $. Quant à l’industrie du cinéma, elle ferme la marche avec un maigre 349 millions $.
Cette réalité en cache une autre, à savoir la distribution des revenus publicitaires en fonction du médium. Au pays, la part de la télévision est demeurée relativement stable depuis 10 ans, aux alentours de 3,2 milliards $; c’est en fait la part du web qui a largement pris du galon, pointant à 901 millions $ seulement en 2006, pour ensuite doubler la télé en 2013, avec 3,5 milliards $, et finir loin devant en 2015 avec 4,6 milliards $ et des poussières.
Distribuer, éparpiller…
Le contenu est roi, certes, mais avec la multiplication des plateformes de diffusion appartenant à un groupe sélect d’entreprises, les experts Chris Anderson Michael Wolff parlaient de la mort du web ouvert… et cela, c’était en 2010. Le tristement nommé « oligopole de la découvrabilité » n’a pas encore planté ses griffes sur l’ensemble de la Toile, mais les grands noms de la technologie (Google, Apple, Netflix, Microsoft, Amazon, Facebook) continuent d’étendre leurs tentacules numériques.
L’une des plus récentes preuves de ce phénomènes a d’ailleurs été fournie par l’entreprise lancée par Mark Zuckerberg, qui a débauché une productrice de MTV pour lui demander de créer du contenu original pour le méga-réseau social. Cela tombe bien, voilà quelques années déjà que Facebook a acheté Oculus, la compagnie créatrice du casque de réalité virtuelle du même nom, et M. Zuckerberg semble piaffer d’impatience à l’idée de combiner plus d’un milliard d’utilisateurs à cette percée en réalité virtuelle. Même si, de son propre avis, la technologie n’est pas encore au point.
Bref, la course folle vers l’avant se poursuit, avec des entreprises capables d’engouffrer des milliards de dollars en productions originales (Netflix), histoire de se démarque de leurs concurrents; et d’autres qui profitent plutôt de leur présence dans bon nombre de marchés numériques pour asseoir leur domination électronique. Après tout, si l’on dispose par exemple d’un compte sur la boutique en ligne Amazon, pourquoi ne pas en profiter pour faire l’achat de la tablette vendue par l’entreprise, pour ensuite s’abonner à Amazon Prime et consommer de la vidéo sur demande produite par une autre division de l’empire?
Du « tout-à-Netflix », le marché est passé au « tout-à-ma-propre-plateforme », HBO se lançant aussi dans l’aventure, pour ne nommer que ce concurrent. Cela ne veut pas dire que le premier quidam venu peut adopter une stratégie similaire. Il y a bien tou.tv, la plateforme de diffusion d’ICI Radio-Canada, mais la nature de société d’État du diffuseur brouille les cartes. Ailleurs au pays, le pendant canadien de Netflix, Shomi, a fini par disparaître, faute d’engouement suffisant.
De succès en échec, le paysage numérique continue de se transformer, probablement au bénéfice du consommateur. Mais est-ce vraiment le cas?
Le rapport complet est disponible à cette adresse.