Émilie Descôteaux
À un pas de l’investiture de Donald Trump à la présidence des États-Unis, qui peut prétendre que les règles du jeu dans les relations publiques politiques n’ont pas changé?
Twitter, ce médium simple et direct, se s’est vu jouer un rôle majeur lors de la dernière élection américaine. Est-ce les réseaux sont en voie de devenir un outil incontournable de la stratégie politique?
Image de marque
2008, première élection au pouvoir de Barack Obama. Celle-ci marquera l’Histoire pour de multiples raisons, et entre autres pour celle-ci: il est le premier président élu qui s’est servi des réseaux sociaux pour mobiliser ses troupes, et avoir un accès direct à ses partisans qui se mobilisent via Internet. Mélanie Millette, professeure à l’UQAM au département de communication sociale et publique et spécialiste des usages des médias sociaux, estime qu’il est presque impossible maintenant pour un élu du monde occidental de se passer d’une présence en ligne en politique. « Ce n’est pas toujours bien fait, on sent souvent une volonté de parti derrière cette décision, et ça manque parfois un brin de naturel. Par contre, dès qu’ils grimpent les échelons du pouvoir, c’est un passage obligé d’être entouré d’une équipe de relationnistes pour gérer son image. »
Car ces canaux de communication restent pour la plupart un moyen de se monter un bon capital de sympathie politique, avec juste assez d’humanité pour créer un sentiment d’attachement avec la population. « Pour Justin Trudeau ou Obama, c’est la même chose. Même dans les messages qui ont l’air très personnels, par exemple lorsqu’Obama raconte ses dernières vacances avec Michelle et les enfants, il ne faut pas se leurrer, il y a quand même une logique de relations publiques en arrière », résume Mélanie Millette.
Un dialogue direct…mais restreint
Alors que ces deux dirigeants ont toujours eu le souci d’afficher une image rassembleuse et unificatrice, Donald Trump a une tout autre stratégie. « Il, au contraire, ne se gêne pas pour utiliser Twitter pour diffuser certains messages carrément haineux, attiser les divisions dans la population, explique Mme Millette. Du point de vue des relations publiques, c’est hyper perturbateur parce qu’on a quelqu’un qui accédé à la pleine fonction , la présidence des États-Unis, et qui fait fi des logiques de base pour le maintien du consensus, c’est du jamais vu! Les traces, les tweets qu’il traîne avec lui, il y a comme une inadéquation, et j’ai bien hâte de voir si, au moment de son investiture, on va lui enlever les clés de son accès à Twitter… »
Est-ce Trump aurait accédé à la présidence sans Twitter? Mélanie Millette amène quelques nuances. « Je crois qu’il y a un contexte particulier qui a servi à Trump, une lassitude, un besoin de changement aux États-Unis. Sans ce contexte-là, je ne suis pas sûre qu’il aurait été élu. Néanmoins, Twitter permette une communication sans « gate-keeper », sans filtre éditorial, ou avec un très faible niveau de filtre dans le cas de Trump, et c’est sûr que ça a aidé au fait qu’un message comme le sien parvienne à l’électorat concerné. »
Ses réactions sanguines, bien connues, sont sans pitié pour quiconque remet en doute ses propos. « Typiquement, quand on est là en tant qu’élu, c’est pour espérer dialoguer ou donner l’illusion de, d’un point de vue stratégique. Trump est intéressé à renforcer ses propres idées, et si vous êtes là pour être en désaccord, vous allez vous faire rabrouer d’une manière souvent offensante. C’est également inédit, ce manque de dialogue. »
Une authenticité qui a un prix
Outre le fait que ses idées rassemblent assez de gens pour le former président, comment se fait-il que son électorat lui pardonne ses grossièretés? « Dans le cas de Trump, c’est particulier parce qu’on dirait qu’une certaine partie de la population fait abstraction de ses idées, même s’ils ne sont pas d’accord avec lui, sous la justification qu’il est « authentique ». Lors du « Gram them by the pussy gate », beaucoup de femmes interrogées par des journalistes, et qui avaient l’intention de voter pour lui, répondaient souvent «au moins, on sait à quoi s’en tenir ». Les gens veulent quand même lui donner une chance, parce qu’il a l’air sincère. Ils veulent entendre un discours différent. »
Mais est-ce qu’être présent les médias sociaux peut être une forme de diversion pour éviter de se prêter à des questions plus « risquées » de journaliste?
Mélanie Millette abonde en ce sens: « Dans le cas de Trump, tout à fait. Ça lui a permis d’éviter les questions difficiles, et ça lui permet d’avoir un certain contrôle sur la communication. Il répond à qui il veut sur Twitter, il peut ignorer donc ce qui lui chante! Alors que dans une salle de presse, si la question est évitée une fois, un autre journaliste peut revenir à la charge… ça peut se passer sur Internet, mais c’est plus facile d’éluder. »
Malgré toutes ces stratégies de relations publiques et de façades, y a-t-il un avantage pour les citoyens à ce que leurs élus aient une présence en ligne? Elle estime que oui. « C’est un accès plus direct à leurs élus, ils peuvent interpeler directement la personne. J’ai fait ma thèse de doctorat sur les populations francophones canadiennes qui utilisent les médias sociaux pour faire des revendications dans l’espace public. Par exemple, j’ai rencontré des gens à Toronto, qui se faisaient un point d’honneur d’interpeler les élus municipaux qui parlaient français, pour exiger que les textes sur les politiques de la ville soient bilingues. Ça peut avoir l’air anodin, mais sans Twitter, ils devraient passer par tout le processus d’appeler à la Ville, de faire une demande officielle, ou encore d’écrire une lettre dans les journaux. Surtout dans un contexte municipal, c’est beaucoup plus gênant d’ignorer la personne qui s’est adressée à toi poliment, via Twitter, avec une question pertinente. »
Un commentaire
Bon article Emilie.