Loin du biopic conventionnel, l’impressionnant Jackie s’approprie un mythe pour le transformer en véritable œuvre d’art qui transcende son sujet et bouleverse son spectateur. Ce ne sera pas pour tout le monde et c’est tant mieux. Ceux concernés sauront apprécier l’objet à sa juste valeur et se laisseront indubitablement transporter.
Si le projet a glissé des mains du visionnaire Darren Aronofsky suite à un concours de circonstances, cela ne lui aura tout de même pas empêché de mener le long-métrage de l’avant en en devenant le producteur et en le plaçant entre les mains de Pablo Larraín. Au fur et à mesure des avancées, Natalie Portman s’est ainsi imposée comme d’un premier choix pour interpréter le rôle principal. Une décision judicieuse puisqu’elle en ressort tout simplement impériale, s’appropriant le personnage qu’est la femme de feu John F. Kennedy dans tout son physique et son âme, de l’accent jusqu’aux palettes des dents.
Créé comme d’un cauchemar, voire de l’anéantissement du rêve américain, le film tournoie autour du personnage pour mieux piquer à l’intérieur de sa psyché. Usant de nombreux points de repère pour ne jamais trop s’éloigner, il sait habilement mêler les moments historiques clés tout comme les éléments d’archives véritables. Et c’est dans un va-et-vient constant entre le passé, le présent et l’avenir qu’on parvient d’une certaine façon à démontrer tout le traumatisme qu’était et qu’a dû être la réalité d’être Miss Kennedy à la suite de son assassinat. Exhaustif, oui, mais jamais en vain.
Bien sûr, cela aide puisque les qualités se succèdent autant devant que derrière la caméra. D’abord, la distribution est impeccable, et, même dans des rôles mineurs, les nombreux Greta Gerwig, Richard E. Grant, John Hurt et Billy Crudup notamment, parviennent à briller sans jamais faire ombrage à la protagoniste. Ensuite, c’est magnifiquement mis en image par Stéphane Fontaine, et c’est écrit avec nuance par Noah Oppenheim, qui, tenez-vous bien, aura par le passé seulement offert des scénarios pour les franchises à succès The Maze Runner et Divergent (il a collaboré au troisième).
Jamais trop verbeux, toujours très intériorisé, Jackie donne l’impression de découvrir ce pan d’histoire pour la première fois et de vraiment bien comprendre tous les enjeux en place sans nécessairement les pointer du doigt ou à peine. Quel héritage laisse un président qui a à peine eu le temps d’implanter ses projets? Quelle influence et quelle crédibilité peut bien avoir la première dame sans son mari alors que la nation cherche simplement à faire son deuil le plus rapidement pour laisser la place à un nouveau dirigeant? Comment continuer à être une bonne mère face à une telle tragédie?
Les questionnements se succèdent et le film se contente de nous présenter les pour et les contre sans jamais vraiment nous donner de réponses puisqu’il n’en existe pas vraiment. Si l’espoir demeure, on en ressort chaviré et rapidement hanté, cet aspect étant grandement relevé par la trame sonore remarquable de Mica Levi qui présente sa première collaboration cinématographique depuis son travail immense sur le brillant Under the Skin. Le film trouvant dans cette psychose des liens de parenté étonnant avec Black Swan, tentant de trouver son pied entre la réalité et les apparences.
De plus, le soin accordé aux détails est grandiose. Les coiffures sont magnifiques et, surtout, les costumes sont d’une sublime beauté. Du coup, en mettant tous ses éléments bouts à bouts, on se retrouve avec un pari risqué qui pourrait difficilement mieux être réussi.
Jackie est donc aisément une proposition osée, mais également l’un des meilleurs longs-métrages de l’année. Une œuvre bouleversante à la hauteur de son sujet qui cible l’intelligence de son spectateur pour mieux le transporter, ce, même avec le sujet le plus conventionnel qu’on pouvait avoir en tête, soit, l’un des événements les plus médiatisés des dernières décennies. Chapeau.
8/10
Jackie prend l’affiche en salles le mercredi 21 décembre.