Changer les pansements des grands brûlés provoque des douleurs insoutenables. Alors pour mener à bien cette mission, une équipe montréalaise a eu l’idée d’explorer la réalité virtuelle, en quête d’une solution non invasive.
« La douleur répond à une perception subjective », résume le chercheur du Living Lab de la Société des Arts Technologiques — CHU Sainte-Justine, Emmanuel Durand. Ce qu’il appelle en langage savant la projection immersive « parvient à détourner l’attention des patients des gestes médicaux douloureux ».
Organisée à Montréal par la Fédération mondiale des journalistes scientifiques, la récente conférence Comment la réalité virtuelle transforme-t-elle les soins de santé ? offrait quelques pistes de solutions innovantes développées dans l’espoir d’améliorer l’efficacité et la qualité des soins. Plus que d’enfiler un casque virtuel — ce que des participants n’ont toutefois pas manqué de faire à la pause café — il s’agissait de s’intéresser aux avantages en santé.
Des émotions plein le casque
Son principal avantage « est de venir chercher nos émotions. Cela nous permet de monter une expérience émotionnelle curative en gardant le contrôle et en respectant les limites du patient », explique le titulaire de la chaire de recherche en cyberpsychologie clinique de l’Université du Québec en Outaouais, Stéphane Bouchard.
Après 20 ans et une cinquantaine d’études, la réalité virtuelle trouve à Gatineau des utilisations en santé mentale : phobies spécifiques (agoraphobie, peur des hauteurs), troubles alimentaires, gestion du stress… Et même des dépendances : avec la voûte immersive ou le casque virtuel, il est possible de conduire des joueurs pathologiques dans un casino virtuel pour induire le désir de jouer. Tout en étudiant leur comportement dans un milieu sécuritaire.
Sans réalité virtuelle, il serait impossible de demander à des personnes atteintes de trouble obsessif-compulsif de plonger leurs mains dans une cuvette malpropre. Et le manque de réalisme qu’on reproche parfois ne dérange pas les chercheurs. « Il faut enlever notre regard de non anxieux. Lorsqu’on a peur des araignées, même si elle a plutôt un comportement de crabe et qu’elle marche de droite à gauche, les personnes phobiques peuvent apprendre à apprivoiser leur peur en y faisant face », soutient Stéphane Bouchard.
Faire face au stress
Son équipe de recherche a ainsi étudié la gestion du stress chez des militaires au Centre de santé de la base de Valcartier, près de Québec. Le jeu virtuel invitait l’usager à porter secours à une casque bleue de l’ONU tout en éliminant un maximum de zombies d’un environnement truffé d’explosions.
Un jeu « viril » doté d’explosions réelles. « L’augmentation du stress diminue le champ virtuel de la personne alors que plus le soldat est calme, plus il a du plaisir à jouer et mieux il parvient à son objectif », explique M. Bouchard. Il évalue une amélioration de la gestion du stress de 65 % chez ceux qui ont suivi cet entraînement. Les chercheurs ont notamment relevé une baisse du niveau de cortisol, le messager chimique lié au stress, après seulement trois séances de 30 minutes de jeu avec un coach qui aide les soldats à contrôler leur respiration.
Jouer à se remettre en forme
Près d’un tiers des ainés canadiens chutent et l’âge aidant, les problèmes de santé se multiplient. Pour les aider à la maison et faciliter leur remise en forme après une chirurgie ou un séjour à l’hôpital, la technologie offre ici aussi des pistes intéressantes.
Elle stimulerait par exemple leur motivation pour faire les exercices prescrits. « Quand c’est le fun, on a envie d’investir de l’énergie plus facilement », relève David Schacter de Jintronix, en pleine démonstration de slalom en ski devant un auditoire amusé. Le système de réadaptation de la compagnie, jumelé au capteur de mouvement de la plateforme Kinect, offre une soixantaine d’exercices pour travailler la posture, la flexibilité, la coordination bilatérale, avec l’aide de son psychothérapeute.
Il faut tout de même que le patient y mette du sien. Comme le rappelle M. Bouchard, « le casque, et la technologie, ce n’est pas la thérapie, c’est un outil pour faire de la thérapie ». La réalité virtuelle donne un coup de pouce au monde médical. Ce qu’en feront les patients leur appartient.
Malade par la réalité virtuelle
Encore peu documenté comme phénomène, la réalité virtuelle peut paradoxalement rendre malade, même lorsqu’utilisée comme outil thérapeutique. « Je ne pouvais pas voir le résultat des recherches, car je ne supporte pas plus de 5 minutes sous la voûte immersive », lance le chercheur du Living Lab, Emmanuel Durand. Les cybermalaises toucheraient près de 3 % de la population. Ils ressemblent au mal des transports et donnent envie de vomir. « Cela ne fonctionne pas pour tout le monde », relève Philippe Fuchs, le responsable de l’équipe de recherche RV & RA à Mines ParisTech. Une des raisons, explique-t-il, est que nous sommes encore bien loin de pouvoir imiter l’œil humain et ses 7 millions de cônes spécialisés.