Berlin, 1945. La capitale du IIIe Reich croule sous les bombes alliées. Mais dans les décombres, le peuple allemand craint bien pire: l’envahisseur soviétique.
Sur les planches de l’Espace Go, la metteure en scène Brigitte Haentjens s’attaque à forte partie: transcrire au théâtre les écrits consignés par la journaliste allemande Marta Hillers dans les derniers jours de l’Allemagne nazie, puis au début de l’occupation soviétique. Les écrits de Mme Hillers, traduits par Françoise Wuilmart et adaptés par Jean Marc Dalpé, dépeignent l’humanité confrontée à une horreur terrible, mais paradoxalement presque banale.
Sur scène, quatre femmes. Quatre fois Marta Hillers, quatre versions de cette journaliste, mais peut-être aussi quatre déclinaison de l’âme féminine, quatre corps roués de coups et violés à répétition par l’envahisseur russe. Car il est impossible de se faire des illusions: le soldat russe a soif de vengeance, soif de pouvoir, soif de sexe. Et pour survire, les femmes allemandes, souvent privées de leur mari parti se battre ou enrôlé de force dans l’armée, devront offrir leur corps en échange de nourriture, d’eau potable, de protection.
Marta Hillers ne fait pas exception à la règle. Les quatre interprètes du personnage, Evelyne de la Chenelière, Sophie Desmarais, Louise Laprade et Évelyne Rompré, se transforment en putain pour éviter la mort. La vie avant la mort, et aux diables les normes de la civilisation si patiemment mises en place. Lorsque l’homme cède la place à l’animal, la sauvagerie prend le dessus.
Étrange ballet que celui de cette, de ces femmes, forcées de se prostituer pour manger autre chose que des pommes de terre pourries, mais qui regarderont avec étonnement, voire dédain, d’autres Berlinois marcher pied nus parmi les décombres. Ou qui profiteront de quelque menue monnaie pour se faire faire une mise en plis. S’agit-il de préserver les apparences, ou de s’accrocher, coûte que coûte, à ce qui nous distingue des bêtes? La vraie guerre est peut-être là: ce retour aux instincts primaires. On écoute, mortifiés, le récit des événements racontés à posteriori, d’une voix parfois mécanique, clinique, chirurgicale. Le décompte froid du nombre d’agressions, les calculs visant à se trouver un protecteur pour éviter de mourir, ou les timides démarches pour prévoir le pire: se faire engrosser par un Russe.
Cette Femme à Berlin, c’est à la fois une ode à la résilience, mais aussi un témoignage de l’hommerie dans sa plus simple expression. Le conflit entre la haine et la raison dans les ruines de la capitale de la haine. Le récit poignant d’une femme livrée à elle-même contre la Brute masculine. Quatre femmes unissant leur voix pour dénoncer l’horreur.
Marta Hillers a survécu jusqu’en 2001. « Mais les hommes, c’est fini pour moi », dira-t-elle en 1945. On comprend facilement pourquoi.