Pendant que les opposants aux OGM s’évertuent à chercher des liens avec d’hypothétiques cancers, leur meilleure arme semble plutôt émerger du côté de l’économie: après 20 ans, des cultures nord-américaines et européennes ont continué de croître au même rythme, qu’elles soient OGM ou pas OGM.
C’est la conclusion d’une enquête publiée en fin de semaine par le New York Times. Laquelle a immédiatement provoqué des réactions négatives, et pas pour les raisons qu’auraient imaginées les auteurs. Le biologiste Andrew Kniss, de l’université du Wyoming, rappelle par exemple qu’il y a près d’une décennie que même les plus farouches défenseurs des OGM sont arrivés à la même conclusion : si l’on compare globalement les rendements nord-américains (où les OGM sont utilisés depuis les années 1990) avec ceux de l’Union européenne (où un moratoire a largement limité leur diffusion), la courbe de croissance des rendements est à peu près similaire.
C’est si l’on compare les rendements par type de plante qu’on a pu, par le passé, découvrir des différences significatives, parfois en faveur de la plante génétiquement modifiée.
Un deuxième argument se retrouve toutefois dans l’enquête du Times, au grand dam des biologistes : l’industrie des OGM aurait poussé cette technologie il y a 20 ans en prétendant qu’elle permettrait de réduire l’épandage de pesticides (insecticides et autres herbicides), ce qui ne s’est pas réalisé. Or, la modification génétique n’a pas été conçue uniquement dans ce but, pas plus qu’elle n’a été conçue pour aller de pair avec un pesticide en particulier : la modification génétique est un outil, qui peut être utilisé de plusieurs façons.
L’article du Times compare d’un côté la France, qui n’autorise pas les OGM et où l’usage des insecticides a décliné de 65 %, et de l’autre côté les États-Unis, où l’usage des herbicides a augmenté de 36 %, pour conclure que cette « promesse » de réduire les épandages ne s’est donc pas réalisée. Le problème, note Andrew Kniss, c’est que si l’on compare les deux pays en utilisant les mêmes méthodes de calcul, la différence s’estompe : en fait, par mètre carré de terre agricole, la France utilise peut-être même plus de pesticides que les États-Unis. Le biologiste se demande aussi pourquoi les auteurs ont choisi de comparer uniquement la France pour les pesticides, mais toute l’Europe pour les rendements.
La question des rendements semble néanmoins faire un peu plus consensus : la technologie de modification génétique ne s’est pas avérée être le produit miracle que proclamaient ses promoteurs au début des années 1990. C’est ce qu’écrivait Andrew Kniss dès 2014, en citant entre autres un rapport de l’Union of Concerned Scientists de 2009 :
« Si vous jetez un regard global sur les données nationales des États-Unis, il est difficile de prétendre que les OGM, en tant qu’entité monolithique, ont eu un impact remarquable sur le rendement des cultures. Mais je connais très peu d’efforts de croisements traditionnels en agriculture qui ont fait faire un “saut quantique” aux cultures… Pourquoi attendons-nous ce type d’impact des cultures OGM ? »
On pourrait en dire autant de toutes les nouvelles technologies, ajoute le neurologue Steven Novella, connu pour son blogue où il s’attaque aux mythes et fausses rumeurs : évaluer l’utilité d’une technologie sur la base des prédictions exagérément optimistes de ses promoteurs de jadis ne sert pas à grand-chose. « Nous n’avons pas vu les promesses du projet génome humain — où sont toutes les maladies guéries ? »
Là où, au final, tout le monde s’entend, autant le Times que les défenseurs des OGM, autant des spécialistes en alimentation que des défenseurs de l’agriculture « bio », c’est pour dire que les peurs du type « les OGM sont dangereux pour la santé », ne reposent sur aucune donnée tangible. Et que l’avenir du débat repose peut-être, du coup, sur les données économiques.