Écrire que c’est la mère qui transmet l’intelligence est une bonne façon d’attirer des lecteurs. Mais une telle affirmation fait abstraction de la complexité de la génétique… et de l’intelligence, dont le développement est tout autant, sinon plus, influencé par des facteurs familiaux, sociaux et économiques.
- D’où provient cette rumeur ?
Publiée par des médias anglophones puis français, l’idée selon laquelle la mère serait responsable de transmettre l’intelligence à son enfant a été reprise au Québec par Châtelaine et Global News. Cependant, cette affirmation ne s’appuie sur aucune nouvelle recherche. En effet, la source citée par l’ensemble des médias était un billet rédigé par une psychologue espagnole, Jessica Delgado, sur son blogue Psychology Spot. L’auteure y développait l’idée d’une transmission de l’intelligence par la mère, en s’appuyant sur différents articles scientifiques, le plus récent ayant été publié en 2012.
- Quels sont les arguments de l’auteure de la rumeur ?
Pour expliquer en quoi l’intelligence proviendrait principalement de la mère, Jessica Delgado se base sur trois arguments.
1) Dans l’embryon, certains gènes qui joueraient un rôle important dans le développement du cerveau ne seraient actifs que s’ils se trouvent sur un chromosome provenant de la mère.
Chacun de nous est porteur de 23 paires de chromosomes, dont la moitié provient de notre mère et l’autre moitié de notre père. Certains gènes s’expriment effectivement seulement s’ils sont sur un chromosome paternel et d’autres seulement s’ils sont sur un chromosome maternel. Il s’agit d’un phénomène appelé empreinte génétique. Selon la banque de données Geneimprint, environ une centaine de gènes humains se comporteraient de cette façon et l’on en soupçonne près d’une centaine d’autres. Étant donné que notre génome compte plus de 20 000 gènes, ce sont donc 1 % des gènes qui seraient touchés.
Or, si certains gènes ayant une empreinte maternelle influencent bel et bien le développement du cerveau de l’enfant, un phénomène équivalent existe du côté des gènes qui ont une empreinte paternelle, souligne Nicolas Pilon, professeur au département des sciences biologiques de l’UQAM. Spécialisé en biologie moléculaire, il s’intéresse notamment à la génétique du système nerveux.
De plus, ce phénomène est également responsable de certaines maladies. Par exemple, l’absence de copie maternelle du gène UBE3A « peut mener au développement chez l’enfant du syndrome d’Angelman, caractérisé par une épilepsie avec déficience intellectuelle », explique la Dre Elsa Rossignol, neurologue pédiatrique au CHU Sainte-Justine. Le même problème peut se produire avec des gènes exprimés seulement sur un chromosome paternel. C’est le cas du syndrome de Prader-Willi, aussi caractérisé par une déficience intellectuelle, qui se développe lorsque la copie paternelle du gène associé est défectueuse.
De plus, les études citées par Jessica Delgado datent de 1995 et 1996. « L’âge des références est frappant, remarque Nicolas Pilon. Depuis les années 1990, beaucoup de nouvelles recherches ont été faites et nous savons maintenant que le phénomène n’est pas aussi simple que l’article le laisse croire. »
2) Les gènes de l’intelligence se retrouveraient en majorité sur le chromosome X.
Pour chaque être humain, une paire de chromosomes détermine le sexe : deux chromosomes X pour les femmes, un X et un Y pour les hommes. Jessica Delgado fait remarquer que plusieurs gènes associés à des handicaps intellectuels se trouveraient sur un chromosome qui peut être aussi bien paternel que maternel, le X.
« On estime en ce moment que chez environ 10 % des patients ayant une déficience intellectuelle, la cause est une mutation de gènes situés sur le chromosome X, souligne Dre Rossignol. Il y a donc près de 90 % des déficiences intellectuelles dont la cause est autre, souvent une anomalie sur un autre chromosome. » De plus, dire que des problèmes génétiques sur le chromosome X peuvent provoquer des problèmes de déficience intellectuelle chez le garçon n’est pas la même chose que de dire que l’intelligence vient de la mère, souligne la chercheuse. Par ailleurs, le père possède lui-même un chromosome X qu’il transmet à ses filles.
Enfin, les gènes qui ont pu être associés à l’intelligence ne se retrouvent pas exclusivement sur le chromosome X. Par exemple, en décembre 2015, une équipe de chercheurs britanniques, français et allemands a publié un article dans le journal Nature Neuroscience où ils ont annoncé avoir identifié deux réseaux de gènes associés aux habiletés cognitives chez l’humain. Au total, ces deux réseaux comprennent près de 1300 gènes. Parmi ceux-ci, une soixantaine seulement se retrouvent sur le chromosome X.
3) Le quotient intellectuel de la mère serait le facteur permettant de prédire le mieux celui de son enfant.
Jessica Delgado oublie toutefois de mentionner que l’étude qu’elle cite ici s’intéressait au rôle de l’allaitement sur l’intelligence. La véritable conclusion des scientifiques était plutôt que le QI de la mère prédit mieux l’intelligence de l’enfant que le fait qu’il ait été allaité ou non. D’ailleurs, les chercheurs ne mentionnaient même pas le père dans leur analyse.
De plus, cet argument n’a rien de génétique. « Il y a confusion entre différents concepts, souligne Stéphanie Duval, professeure-chercheuse en éducation préscolaire à l’Université du Québec à Chicoutimi. L’auteure parle d’abord des gènes et ensuite de l’importance du soutien émotionnel. Il n’est alors plus question de génétique, mais plutôt de la qualité de l’interaction. »
- Comment se développe l’intelligence chez l’enfant ?
Les chercheurs s’entendent pour dire que les gènes jouent un rôle essentiel dans le développement du cerveau de l’enfant, mais c’est véritablement l’interaction entre les gènes et l’environnement qui fait toute la différence, explique Stéphanie Duval. « Il faut donc faire attention avec ce genre d’article, qui sous-entend que si la mère est intelligente, l’enfant n’a plus besoin d’avoir un environnement de qualité », insiste-t-elle.
« Il y a un aspect important qui est environnemental et pas génétique, confirme Dre Rossignol. L’environnement pourrait même influencer l’expression des gènes. Il est d’ailleurs bien démontré que la façon dont le parent prend soin de son enfant influera sur son développement cognitif. Dans nos sociétés, la mère est souvent celle qui s’occupe plus étroitement des jeunes enfants. Toutefois, le père peut aussi avoir ce même effet positif. » Les travaux de Jacinta Bronte-Tinkew, de Rebekah Levine Coley et de Alyssa S. Meuwissen révèlent en effet que le père influence de nombreux aspects du développement cognitif.
Enfin, le milieu socio-économique dans lequel les familles vivent peut aussi avoir un effet sur le développement de l’intelligence. « Il y a beaucoup de facteurs tant sur le plan psychosocial et environnemental, que sur le plan de la génétique, conclut Stéphanie Duval. C’est vraiment le cumul de ces facteurs qui influenceront de manière favorable le développement cognitif de l’enfant. »
Verdict
Les gènes de la mère, tout comme ceux du père d’ailleurs, contribuent au développement de l’intelligence chez l’enfant. Cependant, l’intelligence est aussi influencée par l’environnement dans lequel l’enfant grandit.