Nous vivons dans un état de droit. Pourtant, le système judiciaire québécois n’a jamais semblé si éloigné des citoyens. Détournés des instances juridiques par les délais démesurés et coûts élevés, ceux-ci doivent souvent se défendre seuls usant d’un langage et de procédures avec lesquels ils ne sont guère familiarisés.
« C’est un symptôme du recul de l’accès au droit. La moitié des citoyens se méfient des institutions judiciaires, les jugent inaccessibles et si nous ne changeons rien nous allons foncer dans le mur », affirme Pierre Noreau, professeur à la faculté de droit de l’Université de Montréal et directeur scientifique du nouveau projet Accès au droit et à la justice (ADAJ).
Ce projet ne vise rien de moins que révolutionner l’exercice de la justice et du droit au Québec. Au sein de trois axes de recherche — conscience et connaissance du droit; pratiques juridiques et accessibilité de l’institution judiciaire; confiance et légitimité du droit et de la justice – des travaux exploratoires mettront la recherche au service de la pratique et du citoyen.
« C’est difficile d’expérimenter avec des citoyens pris avec des problèmes de justice ; vous ne pouvez pas monter de toutes pièces une expérience valable. Notre approche vise à nous rapprocher des gens, à les suivre et tenter d’améliorer les choses avec eux », explique le professeur Noreau.
Chantiers de droit
Une vingtaine de chantiers de recherche porteront sur des sujets aussi divers que la justice sans papier, l’autoreprésentation et le plaideur citoyen, ou encore les attentes sociales et la conscience du droit. Pour rendre la justice plus accessible, la responsable du chantier « Mesure de l’accès à la justice (coûts financiers et humains) », Dalia Gesualdi-Fecteau, juge important de ne pas se limiter aux coûts financiers.
Il faut également prendre en compte l’incidence des coûts humains liés à l’expérience judiciaire, comme on le voit avec les récents cas d’agressions sexuelles au sein des universités. « On ne peut ignorer les conséquences de la décision de porter une cause en justice, telles que la jurisprudence ou encore la protection des victimes. Il faut retracer tous les bienfaits et les désavantages des actions afin que les citoyens puissent faire les bons choix », relève la chercheuse du département des sciences juridiques de l’UQAM. Son premier travail sera de cerner, avec son équipe de recherche, les bons indicateurs à partir de la réalité de terrain, dès le début de 2017.
Une préoccupation que partage Moktar Lamari, du Centre de recherche et d’expertise en évaluation (CREXE) de l’École nationale d’administration publique, responsable du chantier sur la statistique judiciaire. « Le Québec est un terrain vierge en la matière. Notre objectif est de produire des indicateurs fiables: les bons chiffres dans les bonnes thématiques », présente le chercheur.
Évaluer la réalité de ce troisième pouvoir reste toutefois un travail délicat, car il s’agit d’informations sensibles à manipuler prudemment. « Le chercheur doit sortir de son laboratoire et participer à la visibilité de ces réalités importantes pour le justiciable. Les statistiques créent des concepts d’intelligence collective que nous devons partager », relève encore le Pr Lamari.
Révolutionner la justice
Au côté de l’instigateur principal de ce projet, Pierre Noreau, marcheront plus d’une quarantaine de chercheurs et autant de partenaires du monde de la justice : avocats, juges, notaires, mais également divers acteurs sociaux, tels que la Clinique juridique du Mile-End, le Centre de justice de proximité de Québec ou encore Droit de cité.
Les multiples partenariats autour des universités visent à apporter une légitimité au projet en cernant une réalité au plus proche des citoyens. « Cela devient un mouvement social pour développer des pratiques novatrices. Ça va bouleverser beaucoup de choses, c’est sûr. Ce qu’on désire avant tout c’est de répondre aux attentes des citoyens en adaptant les institutions à la nouvelle réalité », s’écrie le porteur principal du projet.
Amorcer une mutation du monde de la justice et du droit pour réconcilier les citoyens avec leur système de justice, le projet ADAJ plaide une grande cause.
Dématérialiser la justice
Vaste chantier, La Justice sans papier mettra à profit les avancées technologiques du secteur des communications pour secouer les résistances du monde judiciaire. « On a l’impression que la justice a une décennie de retard, car il y a encore une large place faite au papier, qui n’existe plus dans beaucoup de secteurs. Nous voulons dépasser cette frontière fortement psychologique et qui appartient à la culture juridique », explique le chercheur de la faculté de droit de l’université McGill Fabien Gélinas, coresponsable du chantier. Dans la lignée des travaux du Laboratoire de cyberjustice, l’équipe de recherche s’attaquera tout d’abord aux tribunaux administratifs en rendant accessibles en ligne les procédures disciplinaires des employés. « Nous commençons par de petites bouchées et là où la résistance est moindre que pour des causes aux enjeux plus importants – les causes criminelles, par exemple », convient le chercheur. Outre les limites technologiques et certains impératifs de vérification, comme la crédibilité des témoins, le tribunal web 2.0 se devra d’offrir au justiciable le sentiment d’avoir été entendu. Un sentiment de justice, même de manière virtuelle!