Les clowns tueurs, qui attirent les enfants dans des ruelles sombres ou qui menacent des passants avec une machette? Non seulement « l’épidémie » de témoignages de cet automne n’a-t-elle jamais été confirmée… mais les « épidémies » des 35 dernières années non plus.
L’auteur Benjamin Radford, dans son livre Bad Clowns, paru en début d’année, fait remonter cette peur à l’été 1981: la police de Brookline, en banlieue de Boston, avait alors averti ses patrouilleurs d’être à l’affût d’une « vieille automobile » noire aux phares éteints, dont les passagers avaient tenté d’enlever des enfants. Ces passagers, disait-on, étaient habillés en clowns. De nombreux enfants avaient raconté cette histoire, d’abord dans cette banlieue puis à travers la région de Boston. Aucun adulte n’a jamais vu ni la vieille automobile, ni les clowns.
Mais depuis, ces histoires resurgissent périodiquement, aux quatre coins des États-Unis et au-delà (même la France a eu son épisode en 2014). Le terme « clowns fantômes » leur est désormais attribué. Cette année, cela a recommencé en Caroline du Sud à la fin août, avant de s’étendre aux quatre coins du continent, jusqu’à Montréal et Chicoutimi.
Chaque fois, la police répond au même type de citoyen alarmé, interroge les « témoins » et enquête sur les lieux; au-delà de jeunes qui ont voulu faire de mauvaises blagues et d’un coup de marketing pour un film d’horreur au Wisconsin, aucun clown dangereux n’a été arrêté et il n’y a eu aucun cas d’enlèvement par un clown depuis 1981.
Les psychologues ont proposé au fil des années des explications partielles. La peur d’un ogre ou d’un croquemitaine qui enlève les enfants a de tout temps existé; elle s’inscrit sans doute dans nos peurs les plus anciennes de l’étranger ou de l’inconnu, spécialement s’il est maquillé pour camoufler ses traits.
Mais pourquoi le maquillage du clown prendrait-il aujourd’hui le dessus? Autre explication partielle, venue d’une étude britannique en 2008: très peu d’enfants aiment l’image d’un clown. Elle effraie davantage qu’elle ne fait rire.
Dans le contexte américain, on ne peut pas faire abstraction du fait que la culture hollywoodienne des dernières décennies est riche en clowns terrifiants: du Pennywise de Stephen King (It) jusqu’au Joker dans Batman, en passant par la poupée dans Poltergeist.
Mais dans l’immédiat, il y a autre chose qui fait peur aux psychologues: à l’heure où les réseaux sociaux amplifient ces histoires, tout cela pourrait mal finir. Comme l’explique au New York Times le pédopsychiatre Steven Schlozman, de l’université Harvard, l’horreur n’est pas nécessairement ce qui fait peur. « L’horreur se dévoile lorsque les gens terrifiés réagissent. » Or, note-t-il, aux États-Unis, ces gens terrifiés, ils sont nombreux à porter des armes. « Lorsque les gens du coin prennent leur arme et tirent dans le bois, ce n’est pas différent des gens qui prenaient leurs fourches et se lançaient à la poursuite du monstre Frankenstein. Ça ne finit jamais bien. »
Au début du mois, la police d’une ville de l’Utah a même ressenti le besoin de publier un communiqué avisant les citoyens de ne pas tirer sur les clowns.