Jusqu’où peut-on pousser la provocation facile? C’est cet inquiétant questionnement que semble camoufler le 1:54 de Yan England, alors que le film semble plutôt vouloir déterminer jusqu’où l’intimidation peut aller avant qu’il ne soit trop tard.
Ne vous méprenez pas. Nous sommes conscients de l’importance d’un tel film, du traitement d’un tel sujet, mais aussi de la sensibilisation à un thème aussi récurrent, omniprésent et grave que l’intimidation. Pourtant, tout dans le 1:54 de Yan England, dans son premier long-métrage, soulignons-le, fait défaut. Ce n’est pourtant pas sans audace et sans grâce, puisqu’on a certainement vu pire et moins convainquant, surtout d’un point de vue technique.
Néanmoins, ce film d’ados, pour ados, à la tangente dramatique puissance dix si ce n’est plus, grince dès le départ et s’entiche d’une ambiance digne de Tout est parfait, mais avec la subtilité et l’aisance des dialogues de À vos marques… Party!, ce qui n’annonce certainement rien de bien pour la suite des choses… et du monde.
Certes, sa répercussion sera grande, puisque son public cible ne s’enquiquinera probablement pas des invraisemblances et des tons foncièrement discordants, trop marqué par l’impact « explosif » sur le plan narratif, mais explicitement implosif de la chose. Et c’est là que le tout dérange. Puisque le calvaire de Tim (qui préfère la course) (mais aussi les hommes) aura sa force rassembleuse, surtout parce que Lou-Pascal Tremblay, à mille lieues de son personnage de meilleur ami tombeur dans Aurélie Laflamme: les pieds sur terre, aura toute l’arrogance nécessaire et sans fondement d’un vrai intimidateur.
Aussi parce que le jeu contrôlé de Antoine-Olivier Pilon sera moins imprévisible que dans le Mommy de Xavier Dolan, mais tout aussi dérangeant dans sa façon d’essayer de se faire sa place dans la discrétion. Certes, ce ne sera rien face à l’humanité de Sophie Nélisse ou de la justesse de Robert Naylor, qui continue encore d’éclipser tous ses partenaires à chacune de ses courtes apparitions, mais ce sera quand même insuffisant pour faire oublier à la fois le caractère risible des dialogues appuyés, mais aussi de l’histoire écrite à gros traits. Cet aspect montre aisément la plus grande faiblesse du film, soit son scénario aussi simpliste, ironiquement alambiqué et créé dans le seul désir de choquer sans penser aux conséquences qui en découlent.
Ainsi, le film se concentrera bien peu sur les répercussions d’un point de vue concret, et ce, même si on lui accorde le désir de vouloir prolonger les réflexions à la maison, ce qui est ici malheureusement trop peu.
Du coup, cet effort de celui qui a joué pendant près d’une décennie à tourner des burgers avec du mascara fera étrangement peu écho à notre époque et à notre réalité, n’en déplaise à un certain jargon dont il semble se faire croire avoir la clé, mais aussi malgré un rapport insistant de la technologie et des réseaux sociaux (dictateurs de nos vies). Si au moins on avait osé l’audace de Unfriended…
Au contraire, cette histoire d’intimidation sous fond d’homophobie n’est pas The Perks of Being a Wallflower et semble provenir d’y il a plusieurs dizaines années, et ne correspondre aucunement à l’époque actuelle. Bien sûr, c’est plus accessible et plus facile à illustrer et décrire, mais dans le 21e siècle qui nous concerne, le débat a évolué et si les préjugés continuent de sévir, c’est les personnes trans qui ont désormais besoin d’un grand appui, surtout aussi parce que l’homosexualité est de plus en plus actuelle et naturelle dans la vie socioculturelle qui nous entoure.
Le (trop) long-métrage qui se poursuivra ad nauseam jusqu’à temps qu’on n’en puisse plus de ne plus pouvoir le tolérer continuera alors sa liste à cocher d’éléments à inclure pour essayer de tout faire à la lettre afin de marquer les esprits et de suivre un certain schéma scénaristique. Pourtant, en semblant emprunter aux contes de Disney (le protagoniste a abandonné son rêve et sa passion suite à la mort de sa mère qui l’entraînait), le film continue de sonner faux. De plus, les grattements de tête se succèdent alors que des détails dont il devient impossible de faire abstraction font surface, comme la présence unique de deux seuls adultes dans toute l’école, la prétention du prof de chimie qui est aussi entraîneur sportif qui considère sa classe comme un bureau, l’utilisation du fondu au noir quand on est incapable de montrer un accident grave, la projection en diaporama d’une photo d’un camarade disparu et des répliques comme : « tu m’as utilisé, t’es comme toutes les autres gars même si t’es fif ».
1:54 devient rapidement le B-A-BA de ce qu’il ne faut pas faire du débutant et la démonstration qu’une bonne idée a souvent besoin d’être bien encadrée pour être judicieusement menée à terme. Comme les films sur le sujet sont relativement nombreux, on préférera se tourner vers d’autres propositions beaucoup plus réussies, et dont on ne jase pourtant pas assez, par exemple, aux deux extrêmes, Ben X, qui propose une alternative positivement inattendue, ou même le traumatisant Respire de Mélanie Laurent qui se rapprochera davantage de ce que le film de England essayait de faire, tout en comprenant l’importance du réalisme, mais aussi de la maîtrise de la mise en scène étouffante.
Pour l’instant donc, ce petit film québécois n’aura rien du nouveau À l’ouest de Pluton et tout d’un coup de bâton dans une flaque d’eau, ses maigres remous étant rapidement oubliés.
4/10
1:54 prend l’affiche en salles ce vendredi 14 octobre.
Un commentaire
Je suis allé à la première. J’ai ri tout le long.