Le président américain Richard Nixon a déclaré la « guerre » au cancer par la signature du National Cancer Act en 1971. Le directeur de recherche du Centre de recherche en cancérologie de Lyon ( CNRS ), Marc Billaud, la philosophe du Centre de lutte contre le cancer Léon-Bérard, Julie Henry, et l’hématologue Pierre Sujobert mettent en garde contre ce genre de conception qui altère la perception des patients et influent sur les stratégies de santé publique, dans le Monde diplomatique de septembre.
À l’instar de son discours sur la guerre du Vietnam ( 1955 – 1975 ), le président Nixon a présenté le cancer comme un ennemi à exterminer, donnant le ton aux discours médiatiques et sanitaires qui abondent en formules martiales : « campagne » contre le cancer, « arsenal » thérapeutique et « magic bullet » anglo-saxonne ( médicaments missiles ). À l’inverse, le vocabulaire des biologistes et des médecins est employé dans les milieux politiques et militaires: frappes « chirurgicales », « cellule souche terroriste » et « métastases terroristes ».
Le directeur de recherche, la philosophe et l’hématologue du milieu de la santé à Lyon ont défini trois facettes trompeuses du cancer. La première dépeint la cellule maligne comme une sociopathe, qui ne respecte ni les lois régissant la communauté des cellules d’un tissu ni la structure hiérarchique de l’organe. La seconde image présente le cancer comme un psychopathe dont le don pour la métamorphose provient de son trouble profond d’identité. La dernière représentation illustre une cellule qui ne tient pas compte des frontières et migre vers d’autres tissus pour former de nouvelles colonies.
« La guerre contre le cancer doit être mondiale », lit-on dans un article dans Les Échos, le 6 février 2015. Pourtant, la nature du cancer a peu à voir avec les ennemis à anéantir ou à neutraliser. Le cancer se définit plutôt comme étant l’expression, sur un versant pathologique, de notre organisation même de créatures pluricellulaires, chez qui la plupart sont renouvelés en continu par des cellules souches, rapportent-ils. Autrement dit, les ressorts intimes de cette maladie sont ceux-là mêmes qui nous ont façonnés comme être vivants au cours de notre histoire évolutive, décrit dans un ouvrage le directeur émérite au CNRS, le biologiste moléculaire Jean-Marie Blanchard.
La cellule cancéreuse repliée sur elle-même ou la « longue et douloureuse maladie » sont des conceptions mensongères, puisque le cancer entretient un dialogue constant avec son micro-environnement et fait preuve d’une étonnante plasticité pour s’adapter aux contraintes physiques et métaboliques restreignant sa multiplication, poursuivent-ils.
Rien n’est plus répressif que d’attribuer une signification à une maladie, cette signification se situant invariablement sur le plan moral, écrit l’essayiste américaine Susan Sontag dans La Maladie comme métaphore en 1979. Ainsi, notre conduite qu’elle soit bonne ou mauvaise n’est pas liée au cancer et à sa guérison.
Le trio se défend de vouloir bannir toutes les métaphores du cancer, puisque certaines peuvent aider à la vulgarisation.