Il fut un temps où Internet était le symbole d’une utopie: un monde où tout le monde serait égal devant l’information, libéré des contraintes de genre, d’ethnie ou de classe sociale… Bien sûr, ça n’a pas tout à fait tourné dans le sens qu’espéraient les idéologues des années 1980 et 1990.
C’est la thèse poursuivie par Nicholas Carr dans son recueil de textes Utopia is creepy. Carr est déjà connu pour ses provocations : on lui doit par exemple la phrase-choc « Google nous rend stupides », en 2008, élargie en « Internet nous rend stupides », dans son livre The Shallows, paru deux ans plus tard. Et la phrase n’est pas que provocatrice: les neurosciences, comme il l’expliquait alors, peuvent effectivement démontrer qu’un usage continu d’Internet altère notre façon de penser, voire notre capacité à nous concentrer et à réfléchir. Dans son nouveau livre, Carr se détache de l’individu pour confronter le présent à ce que le passé en imaginant: si les outils comme Facebook nous ont bel et bien permis d’être tous des producteurs d’information, ça ne fait certainement pas de nous des égaux de Facebook, qui s’enrichit à nos dépens. S’il nous est désormais possible de briser notre isolement en réseautant en fonction de nos affinités, c’est aux dépens de notre vie privée, nos affinités ayant acquis une valeur marchande pour les annonceurs. Bref, là où les utopistes voyaient un futur gouverné par l’intelligence et le partage d’information, Nicholas Carr voit un présent gouverné par le marketing, la désinformation virale et la superficialité. Qui dit vrai?