Le Décalogue réalisé par Krzysztof Kieślowski ( 1941-1996 ) est une série de dix moyens-métrages de moins de 60 minutes chacun, qui nous introduit dans le quotidien de la société polonaise des années 1980, encore communiste. Le Cinéma du Parc projette l’oeuvre du 2 au 20 septembre.
Le cinéaste polonais sait rendre l’intensité dramatique à l’écran, certes, mais à comparer à ses autres films dont la trilogie Bleu, Blanc, Rouge ( 1993 – 1994 ) inspirée de la devise française, le Décalogue ( 1988 ) nous imprègne davantage parce qu’on nous raconte les histoires du peuple. Des problématiques ordinaires qui revêtent un caractère extraordinaire de par leur dimension éthique. Chaque film s’inspire d’un des dix commandements de la Bible, sans que le film ne soit religieux.
Distinguons ici l’esprit de la religion de son institution socialement incarnée dans des hommes d’autorité. C’est bel et bien cette dernière qui est absente du Décalogue, écrit l’écrivain, photographe et professeur de philosophie, Yves Vaillancourt dans l’essai Jeux interdits portant sur la série. La révélation du commandement n’est jamais instrumentée par l’Église instituée elle-même, poursuit l’écrivain. C’est une des forces de ce cinéma antihollywoodien de ne pas grossir le trait, précise-t-il.
L’essai rend compte du mimétisme qui lie les personnages entre eux et qui referme l’espace filmique sur lui-même, tout en notant les multiples « signes » laissés par le cinéaste. S’il s’agit d’un guide pour faire une analyse approfondie de l’œuvre, le nouveau spectateur ne détiendra pas ces repères à la première écoute. N’empêche que Krzysztof Kieślowski s’adressait à tous par le médium du cinéma. Alors, le recul historique et la langue sont des barrières, comme la censure à l’époque, que le public est en mesure de surmonter pour adhérer aux films.
Le Décalogue commence avec l’interprétation du commandement: Tu adoreras un seul Dieu. Aujourd’hui, on pourrait s’attendre à une rivalité entre le Catholicisme et une croyance étrangère, l’Hindouisme par exemple, ou encore sur les nuances entre les trois variantes du monothéisme qui font constamment la une de la presse. Le cinéaste plante plutôt son récit dans ces édifices à logements bâtis uniformément de la Russie à Berlin-Est.
Un père y vit avec son garçon, qui se fait garder par sa tante à l’occasion. Si le père, professeur à l’Université, l’initie aux expériences scientifiques, à l’usage de l’ordinateur et aux Échecs, sa tante répond à ses questions d’un autre ordre, par rapport à la mort, la famille et l’amour. Le père cherche à atteindre un absolu de par la raison scientifique, ce qui lui coûtera cher. Par cette tragédie, le cinéaste cherche moins à faire la morale qu’à installer un contexte qui pave la voie pour les neuf autres épisodes.
Le Décalogue VI apparaît particulièrement captivant pour le spectateur actuel parce qu’il s’adresse au sens de la vision. Il s’agit de l’interprétation du commandement : Tu ne seras pas luxurieux. Dans les édifices à logements, une histoire d’amour tordue se dénoue entre deux voisins qui occupent des appartements dans deux blocs qui se font face. La hauteur de quelques étages entre les deux se métamorphose en espace vertigineux incarnant la luxure réciproque, le voyeurisme pour Tomek et l’exhibitionnisme pour Magda.
À l’instar de l’emploi de la caméra par les frères Dardenne, dans le film Le fils ( 2002 ) par exemple, le cinéaste nous fait voir ce que Tomek voit, nous laisse deviner Magda en même temps que ce dernier. Puis, à mesure qu’une relation s’installe entre ce jeune de 19 ans et cette femme du début de la trentaine, le cinéaste nous donne accès à une intimité réciproque à mille lieues de ce qu’on a l’habitude de voir au cinéma. Disons qu’il aborde le problème de l’hypersexualisation, deux décennies à l’avance.
Les 10 épisodes du Décalogue seront projetés au Cinéma du Parc du 2 au 20 septembre.