Emmanuelle Ceretti-Lafrance
Samedi, c’était au tour de Chienne(s) d’attirer l’attention des spectateurs du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Création complice entre Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent, il s’agit de leur troisième collaboration. Elles ont fondé ensemble le Théâtre de l’Affamé qui viennent d’ailleurs de présenter leur quatrième pièce en chantier dans le cadre du festival Zone Homa. Le titre: Guérilla de l’ordinaire. Voici donc ma rencontre avec une guerrière.
Marie-Ève Milot a deux facettes: la comédienne et l’auteur. Selon son propre avis, les deux cohabitent dans un étrange calme, malgré la différence de curriculum. Pendant ce festival, Marie-Ève joue dans la pièce La machine à révolte d’Annick Lefebvre et présente son texte Chienne(s). Selon son avis, le festival n’est pas un banc d’essai, comme peut l’être Zone Homa. Il s’agit bel et bien de l’aboutissement de trois années d’écriture. Le public a donc affaire à une pièce durement murie et pourra apprécier un produit artistique fini.
«Chienne(s) raconte l’histoire d’une trentenaire qui, le jour de ses 30 ans, voit s’effondrer le théâtre de sa vie. Alors que les gens qui gravitent autour d’elle semblent avoir de bonne raison d’avoir peur, elle, n’en a pas. Cela la poussera donc à revenir à la genèse de la peur ; une peur qui s’ouvre au collectif et qui permet de dresser un portrait sociétaire de l’anxiété généralisé dans laquelle on se trouve. Dans cette grande noirceur, l’art devient la lumière que l’on voit apparaitre lorsqu‘il n‘y a plus d‘espoir.»
D’où ont-elles pris leur inspiration?
«Nous voulions aborder tous les enjeux de la pièce à travers une analyse féministe. Nous voulions explorer le thème de l’anxiété, aussi individuelle qu’universalisée, d’un point de vue social. Cela nous a amené à nous demander pourquoi il y avait deux fois plus de femmes que d’hommes qui souffraient de ces troubles. Nous avons extrapolé un portrait sociétaire de ce qui peut nous rendre anxieux en tant que peuple, par l‘histoire de cette femme de trente ans.»
Par cette approche féministe de l’écriture, elles ont décidé de ne pas donner un genre aux personnages de la pièce. En effet, mis à part le personnage principal ainsi que la mère et le père, tous les personnages qui gravitent autour sont non genrés. L’orientation des personnages n’est donc pas prédéterminée. Les créations futures auront alors pour mandat de s’interroger et c’est exactement ce qui survivra à leur création. «C’est un peu ça, la postérité de l’écriture. C’est obliger les futurs instigateurs à se poser des questions.»
Pourquoi avoir choisi d’invoquer les problématiques de la trentaine?
«Cette pièce n’est pas une anecdote biographique. Je n’ai pas eu autant de difficulté à mes trente ans. Chaque cap est prétexte à bilan. Dans la trentaine, quelque chose en nous s’affirme et s’assume plus. Pour notre personnage principal, elle souhaite s’être plus affirmée dans sa vingtaine. Elle développe donc une peur qui dépasse l’individualiste, qui tend vers le systémique. C’est ce qui justifie la présence d’un chœur qu’on voit évoluer pendant l’ensemble de la pièce. Cela sort de la confession individuelle pour justement élargir le propos à l’ensemble de la société.»
Il fallait donc se rendre au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui pour constater à quel point la peur et l’art peuvent être intimement liés et qu’il faut prendre le temps d’être surprise dans le sens le plus merveilleux qui existe. Une pièce à la perspective féministe où l’art devient un refuge et une possibilité d’avenir. Marie-Ève Milot vous y conviait.