Emmanuelle Ceretti-Lafrance
Dans la continuité du festival dramaturgies en dialogue, le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui présente vendredi soir à 17h30 la pièce La machine à révolte de l’auteure Annick Lefebvre.
De son propre dire, le côté dur qu’elle affiche dans les médias et à travers son écriture est une dissimulation de sa nature guimauve. Cette pièce affiche sa facette plus douce et expose des sujets moins confrontant que ceux auxquels elle a habitué ses adeptes.
La machine à révolte raconte l’histoire de deux personnes, Mathilde, 17 ans et Vincent, 37 ans. Elle vit à Montréal. Il vit à Paris. Elle a perdu sa meilleure amie. Il pleure la mort de ses parents. La distance les éloigne, mais la révolte les rapproche, irrémédiablement. À travers leur déracinement et leur exode vers les régions lointaines de leur pays, ils se trouveront.
«J’aime croire qu’à des kilomètres de distance, l’humain est plus fort que toutes les étiquettes qu’on peut vouloir lui mettre. Que deux personnes se trouvant à des pôles opposés peuvent s’apporter quelque chose. C’est lorsque nous sommes à fleur de peau que nos sentiments sont exacerbés et que la révolte peut naître.»
La pièce a déjà été présentée dans le cadre d’un festival français de théâtre pour adolescents en Basse-Normandie. Il s’agit donc d’une première représentation au Québec. Quelle est la différence entre la version française et celle que les spectateurs découvriront ce soir?
«J’avais beaucoup de contraintes. Le metteur en scène voulait que j’intègre des chansons dans la pièce. J’ai vu cela comme un défi. C’est important pour moi d’avoir de la musicalité dans mon écriture et le fait d’intégrer des chansons m’a permis de trouver un point d’attache entre mes personnages. Il fallait aussi que les spectateurs français s’y retrouvent et puissent s‘ancrer dans la pièce. Personne dans le projet ne se connaissait à la base et nous étions de chaque côté du monde lors de la création. Par contre, le thème du festival La tête versus les jambes, le corps versus l’esprit étant assez vague, j’ai donc pu écrire quelque chose qui me ressemble.»
Pour faire quelque chose qui lui ressemble, Annick était prête à tout. Quelques jours avant la présentation de la pièce à la compagnie française, elle a décidé de jeter son texte quasi terminé à la corbeille et de recommencer.
« J’avais commencé à écrire de courts dialogues, mais, honnêtement, je ne sais pas comment on écrit des dialogues. J’ai refusé de sacrifier mon style et la manière dont j’avais envie d’aborder cette histoire-là et j’ai recommencé. Les monologues me permettent plus de liberté et de pouvoir énoncer clairement ce qui se passe. Cela ajoute un million de couches de sens à la pièce et fait un amalgame de dimension, autant émotive que physique. Dans La machine à révolte, j’ai écrit mon premier dialogue. Il s’agit d’une seule et unique réplique. Celle-ci est d’autant plus difficile à écrire, car elle doit avoir une puissance particulière.»
Si l’on parle de sa première pièce pour adolescents, Annick ne veut pas nécessairement la publiciser ainsi. «Je ne voulais pas faire une pièce avec une thématique adolescente. Je ne voulais pas faire une pièce où ceux-ci se sentent pris par la main. Je voulais abattre ce cliché-là et leur parler en adulte. Qui plus est, les adultes réagissent parfois comme des adolescents écorchés vifs dans certains moments de fragilité affective et émotive. La révolte est quelque chose qui nous dépasse. Il faut qu’elle entre dans les tripes de chacun pour qu’on puisse y toucher. Elle représente bien les contradictions et les batailles de l’adolescence ; des zones de luttes où les personnages ont surpassé le stade de la colère. La révolte touche tout le monde. »
À quoi le public doit-il s’attendre? «C’est une pièce aboutie, mais qui n’a jamais rencontré le public québécois. En France, les méthodes de travail et les techniques de jeu sont différentes. D’ailleurs, le public d’ici trouvera probablement Mathilde, interprétée par Marie-Ève Milot, plus attachante que le public français. Jean-Simon Traversy suggère une tout autre lecture. Le personnage de Vincent, joué cette fois par Julien Storini, a également beaucoup plus de nuances. Il est moins sanguin et rentre dedans, car Julien n’a pas du tout cette énergie-là dans son jeu et dans la vie. Ce qui rend le personnage cent fois plus dangereux. L’agression se transforme en révolte et ca passe très bien.»
De Montréal au Bas St-Laurent en passant par Paris ou la Basse-Normandie, La Machine à révolte est prête à toucher le cœur du public. Dans une société où l’on pense avoir plusieurs outils pour surmonter les épreuves de la vie, on se retrouve souvent démuni devant la mort. Annick tente de mettre des mots francs sur le deuil au lieu de contourner ce dont il ne faut surtout pas parler. C’est un travail sur l’instinct de survie où il n’y a pas de porte de sortie.
Si vous aspirez à plus d’Annick Lefebvre dans votre vie culturelle, elle produit Les Inconnus, présentée à la petite Licorne du 5 au 30 septembre 2016. Sa pièce J’accuse, qui a connu un grand succès, revient au Théâtre d’Aujourd’hui du 9 au 22 février 2017. Si vous n’avez pas réservé votre place et que l’envie de voyage vous prend, vous pourrez également voir J’accuse en Belgique au mois de juin et en France au courant de l’année prochaine. Elle participe par ailleurs à un projet multidisciplinaire initié par une compagnie française qui réunit dix créateurs québécois auteur du thème de l’identité. On y retrouve notamment Hubert Lemire, Jean-François Guilbault et Martin Vaillancourt.