Emmanuelle Ceretti-Lafrance
Le festival dramaturgies en dialogue a lieu du 25 au 31 août au Centre du Théâtre d’aujourd’hui. C’est l’occasion de découvrir des textes dramatiques d’ici et d’ailleurs dans une lecture publique; les acteurs lisent la pièce, texte en main, et livrent aux spectateurs une performance avec intentions. Les mots prennent la place qu’ils méritent et permettent au public d’entendre des pièces souvent jamais lues. Sans mise en scène, sans décors, sans costumes.
J’ai eu le plaisir de m’entretenir avec Catherine Léger qui y présente aujourd’hui à 20h sa pièce Filles en liberté. Pour Catherine, il s’agit d’un laboratoire.
«Un texte dramatique, c’est fait pour être mis en scène. Le festival sert à tester les répliques et les personnages pour ensuite les pousser plus loin, passer à la prochaine étape. Cela permet à la pièce d’avoir une vie, de rencontrer un public et de tester des choses. C’est une étape fondamentale dans la vie d’une pièce.»
Filles en liberté, «ça parle de jeunes filles qui se tiennent avec leurs professeurs de cégep. Elles n’ont plus de repères moraux. Ils sont nostalgiques d’une époque qu’ils n’ont pas vécue. Elles pensent de tout est possible. Ils rêvent de vivre à la manière de Jack Kerouac. Elles sont trash sans y penser, sans superficialité, dans un nihiliste inconscient. Ils essaient de l’être.» Qu’est-ce que donne la rencontre de ces deux mondes? C’est ce à quoi Catherine tente de répondre.
En s’éloignant d’un portrait générationnel, elle illustre le conflit qui existe entre une belle jeune fille de 17 ans et un homme intellectuel de 37 ans.
«Je suis dure avec les personnages, mais de manière égale. Je mets en lecture des choses très sombres chez l’humain. De la manière dont on peut se penser humaniste, mais traiter les gens comme des objets.»
Malgré cela, il s’agit tout de même d’une comédie. Une comédie noire où le féminisme est abordé d’une manière à laquelle nous ne sommes pas habitués.
«Ce sont des filles qui n’ont pas encore à prendre position. Elles ont encore le loisir de dire qu’elles ne sont pas féministes. Elles sont très belles, relativement intelligentes et ont toujours eu la vie facile. Elles ont toujours gagné. Tant qu’elles sont aux études, elles n’ont pas besoin de se poser de questions. Une fois sur le marché du travail, elles vont devoir se positionner sur le féminisme, sinon elles auront des problèmes et vont se faire avoir par le système.»
Les personnages de la pièce se servent les uns des autres. Ils subissent les conséquences des actes des autres, mais n’en parlent pas. Qu’est-ce que l’auteure a dû faire pour se préparer à l’écriture?
«J’ai regardé beaucoup de pornographie! Blague à part, le concept de la pornographie équitable auquel Méli tient tellement, c’est la blague de la pièce. On ne la prend pas au sérieux. Ce sont les rapports humains qui révèlent des zones d’ombres. C’est à ça que j’ai réfléchi le plus. Le fait que notre société a une grande fixation sur la beauté. On met en scène cette beauté-là comme on met en scène notre vie sur les réseaux sociaux. Ça a radicalement changé le rapport a l’autre. Ce n’est pas le thème central de la pièce, mais pour le personnage principal, la différence entre s’exposer sur Facebook et dans une vidéo pornographique n’est plus si grande. Elle cherche son bonheur individuel. Elles le cherchent toutes.»
Catherine Léger veut continuer de créer des personnages féminins forts. Elle pense qu’il y a encore un travail à faire pour défricher de nouveaux personnages et faire exploser ce qu’on ne connait pas de la femme. Elle veut participer à cette banque insuffisante de personnages féminins qui peuplent notre culture. Elle veut sortir du rôle classique de la blonde, de la maîtresse, de la mère. Elle veut casser l’image de la femme parfaite obnubilée par son apparence. Dans Filles en liberté, les personnages féminins sont à leur point de rupture. Dans leurs vies, ça passe ou ça casse. Le tout marque le début de la fin du règne de la jeune fille qui gagne tout le temps. La situation leur explose à la figure.
En plus de participer au festival dramaturgies en dialogue, Catherine Léger présentera la pièce Baby-sitter au Théâtre La Licorne du 18 avril au 6 mai. Elle considère cette pièce comme une comédie franche où elle s’amuse à décortiquer la complexité des questions autour du féminisme. C’est drôle et déstabilisant, mais dans le bon sens du terme. Le genre de texte où on a besoin de ce moment à la fin où on va parler de la pièce avec nos amis autour d’une bière.
Je vous invite donc à venir découvrir le monde créatif de Catherine Léger, Annick Lefebvre, Marie-Ève Milot, Gabriel Plante et bien d’autres au festival dramaturgies en dialogue.