La route a longtemps été le salut de la contre-culture des trente glorieuses, mais qu’arrive-t-il lorsqu’on débarque du véhicule pour se sédentariser ? Le documentaire Histoire hippie ( 2016 ) réalisé par Jean-André Fourestié nous invite à prendre part au vertige de ces nomades.
Après de multiples aller-retour sur le continent, avec ses deux filles Deborah et Jacqueline, c’est dans le quartier Mile-End à Montréal que Martin Stone a décidé de se percher. Son grand balcon avec vue sur la synagogue transformée en église orthodoxe est aménagé pour recevoir des invités, jouer de la musique, prendre une bière, faire du body-painting… bref, pour passer un bon moment. D’ailleurs, il a « cultivé » ce lieu pendant une quarantaine d’années afin de vivre en colocation et d’accueillir ses connaissances, de jeunes artistes qui renouent avec son passé hippie. Pour lui, « vivre est un art ».
Dans son ouvrage La Troisième Révolution industrielle, l’activiste Jeremy Rifkin avance l’idée suivante : les grandes transformations économiques de l’histoire se produisent quand une nouvelle technologie des communications converge avec un nouveau système énergétique. Martin Stone est passé du design à l’expérience psychédélique. Il a quitté son emploi dans une agence de publicité sur Madison Avenue à New York pour joindre la plus grande commune en Amérique du Nord, la Hog Farm se déplaçant dans un autobus scolaire Chevrolet 1966.
Pendant les années 1950-60-70, l’invention de l’automobile a engendré le développement des banlieues où chacun a eu la possibilité d’être propriétaire de sa propre résidence. À 70 ans, Martin Stone maintient sa critique ironique de ces gens qui ont choisi la sédentarité. Il nous dévoile son opinion lorsqu’il décrit son lieu de travail, surnommé « Alcatraz ». Le conjoint de sa fille, aussi de nature nomade, nous transmet une opinion similaire au moment où il prend la décision d’acheter une ferme.
À l’inverse, les nomades ont fait de leur véhicule leur foyer. Le moteur à explosion alimenté de combustibles fossiles a également été l’alternative, à l’époque. Martin Stone nous décrit sa vision idéale : un groupe en extase qui entre en fusion sous la forme d’un soleil rayonnant. Sur le plan spirituel, il était à demi juif par son père, mais a choisi de devenir agnostique. Puis, il admet être de confession « frisbee », croyant qu’après sa mort son âme monte dans les airs pour aller se déposer sur le toit de façon à ce qu’on ne puisse pas aller la chercher, dit-il en riant.
Le documentariste fait des parallèles intéressants entre la vie du père hippie et celles rangées de ses filles vivant aux États-Unis. Par exemple, il alterne entre son 70e anniversaire célébré dans son appartement et une fête religieuse célébrée par ses filles et leur famille. Ses réflexions sur la famille nucléaire et sur la famille élargie nous conduisent à un autre niveau de lecture du documentaire.
La comparaison entre le père adoptif qui a combattu à la guerre du Vietnam et le père hippie qui a amené ses filles au festival de Woodstock danser avec Janis Joplin présente deux personnalités antagonistes et influentes dans l’évolution des deux femmes.
Il ne faut pas s’attendre à un « road movie », le montage relate la stagnation d’un présent d’où surgissent des « flashs » du passé. Pour ce qui est de la généalogie, le film n’atteint pas la netteté du naturalisme de l’écrivain Émile Zola.
Colocataire
Arrivé à Montréal en 2004, le documentariste d’origine française, Jean-André Fourestié a habité chez Martin Stone. « Moi aussi, j’essayais de me trouver une place autre de celle que l’on voulait m’attribuer », écrit-il. Ce film traduit son intention d’amener le spectateur à se questionner sur « la liberté ».
En fait, le film nous amène davantage à nous questionner sur la valeur relative accordée à « la liberté ». Parfois, on ne comprend pas le lien entre certaines scènes intimistes, pas exceptionnelles, et le fait de prendre la route pendant six ans. Peut-être que les spectateurs français ou américains vont y voir les effets d’un acte subversif par rapport au conformisme dans lequel ils vivent?
Montréal, ce refuge!
Le film Histoire hippie ( 2016 ) sera lancé en grande première le jeudi 25 août à 20h au Cinéma du Parc, et prendra l’affiche à ce même Cinéma du Parc dès le lendemain, en programmation régulière.