À la suite de la condamnation de quatre banquiers responsables du krach de 2008, de la démission du premier ministre mêlé au scandale des Panama Papers et de l’élection de juin mettant un terme aux 20 ans de présidence d’ Ólafur Ragnar Grímsson, le contexte politique islandais devient propice à une nouvelle forme de gouvernance. Lors de son séjour, Pieuvre.ca a exploré la capitale des 330 000 Islandais.
Au cœur du centre-ville, l’Alþingi, le parlement d’Islande, est une petite bâtisse en pierres de deux étages. Sa façade symétrique est divisée par une porte, un balcon et l’inscription « 1881 », l’année de sa construction. Devant, l’étendue gazonnée décorée de fleurs orange est le lieu des mobilisations populaires. Comme c’est l’été, les habitants et les touristes s’y arrêtent simplement pour prendre du soleil. Le parlement est fermé.
Au port, des artistes ont reçu l’autorisation de la ville pour s’approprier un espace à des fins créatives tout au long de l’été. Un vieux bateau, quelques conteneurs, beaucoup de planches de bois et une panoplie d’outils leur ont permis d’organiser un lieu marginal semblable au Village au Pied-du-courant à Montréal. À la différence que l’ambassade informelle est moins axée sur la fête que sur une énigme à résoudre.
Rockall serait ce rocher abrupt et plat au milieu de l’océan entre le Royaume-Uni et l’Islande, encore inhabité. L’ambassade pose la question à savoir si on pouvait fonder une société nouvelle, comment serait-elle? On s’y retrouve pour échanger des idées, peu importe les formes qu’elles empruntent. Au menu du vendredi 29 juillet, un exposé sur les jeux vidéos par Jonatan Van Hove et une table ronde sur le projet Blockchain par Eries Industries, suivi d’un concert du duo Asdfg.
L’argumentaire du premier conférencier se résumait de la façon suivante : le caractère ludique n’est pas exclusif aux jeux vidéo, alors on peut leur retirer cette étiquette afin de les concevoir autrement, comme un art par exemple. Il défendait cette idée avec une série d’exemples de jeux dans nos vies pour ensuite comparer la conception et l’utilisation de jeux vidéo à ce que l’on considère comme étant de la création artistique.
Le projet Blockchain a été introduit à la discussion comme une variante de l’argent virtuel Bitcoin appliquée à la gouvernance de sorte que les citoyens s’en remettraient à un système informatique plutôt qu’à des infrastructures publiques pour favoriser la démocratie. « Le gouvernement représente-t-il un territoire ou un système ? », a lancé un conférencier pour commencer un débat long et animé malgré la temps qui se refroidissait.
« Je comprends que votre projet est plus démocratique parce que nous devenons tous des usagers égaux par rapport à votre système virtuel de gouvernance, mais nous dépendons toujours de l’appartenance territoriale si vous avez besoin d’un ordinateur, branché dans une prise de courant, dont l’électricité provient d’une centrale électrique…pour y accéder », ai-je affirmé pour relancer le débat qui s’enlisait dans l’objection « hard fork ». Le concept de degré zéro de Rockall me permettait ce genre d’argument.
« L’informatique, l’économie et la haute finance sont déjà difficiles à comprendre pour la plupart des gens, ça va commencer à être compliqué d’« emballer son cerveau autour » d’un autre système virtuel en lien avec la gouvernance. D’autant plus que ces systèmes changent constamment », me confie après le débat l’un des participants qui a soutenu mon point plus tôt.
Bref, l’esprit critique était bien présent pendant la soirée, du moins pour ceux qui pouvaient concevoir leur existence en dehors de l’informatique, perçue comme une catharsis du progrès par ses adeptes.
Ateliers d’Art
Quel beau dilemme de se demander si l’artiste doit s’engager en faisant porter un message politique à son œuvre ou s’il peut simplement se contenter de créer ! À la suite du krach de 2008, la ministre de la Culture Katrín Jakobsdóttir a amené le gouvernement islandais à investir dans les arts afin de faire connaître l’Islande et de relancer son économie.
À l’aide de l’ancien batteur de la chanteuse Björk, Sigtryggur Baldursson, 43 groupes de musique se sont produits à l’étranger, dont le concert de Sigur Rós qui a attiré 6000 spectateurs au Centre Bell à Montréal. À partir de cet exemple, supposons que chaque artiste compose avec un langage qui lui est propre et que son action politique se résume à l’acte de créer.
Le long de la rue Laugavegur traversant le centre-ville, deux ateliers d’art se nichent en retrait de l’artère commerçante : l’atelier du chanteur de la formation musicale Dead Skeletons et l’atelier-galerie collectif Port. Les artistes partagent le même discours. L’embourgeoisement engendré par le tourisme fait en sorte que leurs semblables doivent déménager en banlieue pour céder les locaux du centre aux Airbnb et autres projets de réaménagement. Au moment où la minuscule galerie Harbinger n’a pas assez d’espace pour tout exposer.
Sans toutefois nier les bienfaits du tourisme sur l’économie islandaise. Le chanteur vend les t-shirts qu’il imprime afin de préserver son lieu de création où il fait des performances artistiques privées. Les artistes de Port improvisent des séances de création sur la rue avec les passants afin de les inviter dans leur galerie. Puis, les artistes peuvent toujours se rabattre sur les murales qui décorent la ville de peintures originales.
Avec une augmentation de 30% de touristes par année, le milieu artistique de Reykjavík subit des effets comparables à l’endommagement des highlands redouté par le physicien et randonneur Tómas Guðbjartsson.
Ainsi, l’Islande doit faire face à un défi de gouvernance bien réel dont les visiteurs ont l’occasion de mesurer l’ampleur à l’aéroport de Keflavík.
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Photos: René-Maxime Parent / Pieuvre.ca