Il y a quelques jours, le prolifique et indéfinissable réalisateur Takashi Miike a participé au Festival Fantasia afin de présenter deux de ses plus récents films, As the Gods Will et Terraformars. C’est devant une salle comble qu’il a fait connaître au public montréalais son thriller d’horreur fantastique, As the Gods Will, récit impitoyable et divertissant sur une quête dont on peine à deviner les tenants et les aboutissants.
As the Gods Will, présenté en première canadienne au Festival Fantasia et adapté d’un manga de Muneyuki Kaneshiro et Akeji Fujimura est impossible à décrire en un seul mot et ne pourrait appartenir à un seul genre cinématographique, à l’instar de toutes les œuvres précédentes de Miike. D’ailleurs, Miike s’inspire grandement de l’exceptionnelle liberté des mangas japonais. Ce grain de folie propre à l’univers visuel des mangas colle assez bien au style unique et à l’imagerie éclatée de Miike. D’un film à l’autre, le réalisateur pousse l’audace un peu plus loin et renouvelle ce contrat tacite qu’il a avec le spectateur : le surprendre et lui en mettre plein la vue.
Une bien étrange série de jeux dangereux
Ce film surréaliste présente l’histoire de Shun, un jeune étudiant qui trouve sa vie plutôt ennuyante. À mots couverts, il marmotte (à lui-même? à un dieu? à l’univers?) le souhait d’avoir une vie plus passionnante. Son vœu sera exaucé… Mais prendra un cours bien funeste.
As the Gods Will démarre en trombe et fait sursauter le spectateur d’entrée de jeu. Dans la classe de Shun, sur le pupitre de l’enseignant trône Daruma, une tête de poupée au rictus effrayant. Daruma oblige les étudiants à se prêter à un jeu dangereux : chaque fois qu’il se retourne, les adolescents doivent cesser de bouger, faute de quoi leur tête explosera en une multitude de billes rouges. Shun est le seul de la classe qui s’en sort indemne. Il rejoint sa copine Ichika qui sort d’une autre salle de classe, ébranlée, mais saine et sauve. Le duo tente en vain de sortir de l’école, mais se voit contraint d’accéder à une deuxième ronde de cette joute insensée. Tour à tour, alliés d’autres jeunes (dont Takeru, un adolescent à tendance sociopathe), ils doivent se mesurer à une sanglante partie de chat et de souris avec un énorme Maneki-neko (chat chanceux), des comptines meurtrières chantées par des poupées kokeshi, des devinettes posées par un ours colérique et une ronde de « kick the can » orchestrée par de vilaines poupées russes.
Ce qui étonne dans un premier temps avec As the Gods Will, c’est la combinaison de jeux d’enfants assez classiques avec des personnages grotesques et sanguinaires. Et la violence de ces jeux s’oppose en tous points à l’innocence enfantine qu’ils sont censés représenter. C’est sans doute là un des aspects les plus troublants du film : associer la représentation de l’enfance naïve et amusée au sadisme d’une joute cruelle, à une machination qui n’a rien d’innocent. Plus le film avance et plus les chances de survie sont minces. Sans trop savoir comment, Shun, Ichika et d’autres adolescents se retrouvent prisonniers d’un immense cube qui plane au-dessus de la ville. Les survivants sont appelés les « enfants de Dieu » dans les médias et les experts spéculent sur le sens de ces événements. Des extraterrestres? Une force divine? Une quelconque forme de terrorisme?
Des pistes qui se brouillent
Miike, as du cinéma excentrique, maîtrise bien l’art de brouiller les pistes et de laisser le spectateur pantois. Différents indices durant le film sont à peine effleurés et nous laissent sur notre faim. Par exemple, Miike présente quelques prises de vue sur un homme terré dans une pièce remplie à pleine capacité, qui fait une recherche sur ces fameux « enfants de Dieu ». On ne saura toutefois jamais vraiment s’il détient la clé du mystère ou s’il s’agit simplement d’un hurluberlu influencé par les nouvelles qu’il lit sur Internet à ce sujet.
Du point de vue du divertissement, on peut dire que Miike a tenu son pari. Bien qu’il ne s’agisse pas de sa meilleure production, As the Gods Will demeure spectaculaire, étrange et tient le spectateur en haleine. Les effets visuels et la photographie sont à couper le souffle et immergent le public dans un univers « manga-esque » très typiquement japonais.
Les adeptes de la cinématographie de Miike apprécieront sans contredit l’humour noir parfois cinglant de ce thriller drôle et troublant, cruel et ludique. Et par moments, le spectateur sera presque troublé de rire de certaines scènes, absurdes par tant de violence.
As the Gods Will souffre toutefois d’un manque de profondeur des personnages, blasés et sans réelle intensité. Mais peut-être était-ce voulu par le réalisateur? Difficile de dire s’il a cherché à proposer au spectateur une interrogation sur le sens de la vie ou si, finalement, il n’a tenté que de transposer sur pellicule un univers éclaté puisé dans un manga qui l’inspirait.
La finale laisse planer beaucoup trop de questions. Y aura-t-il une suite? Avec l’esprit fantasque et non conformiste de Miike, rien de moins sûr.
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Takashi Miike
As the Gods Will (Kamisama no iu tôri)
Japon, 2014, 116 min., japonais, s.t. anglais