La nouvelle loi américaine imposant l’étiquetage des OGM ne réglera pas le débat. Mais elle lui permettrait de redémarrer sur des bases plus solides. C’est ce que souhaite un éditorial de la revue Nature cette semaine, qui fait suite à une lettre de 110 Nobel, quelques semaines après un rapport de l’Académie américaine des sciences, qui suit des avis similaires de dizaines d’autres organismes.
Les OGM ne sont pas seulement un sujet polarisant, ils sont un symbole de l’écart entre scientifiques et public : selon une étude du Centre de recherche Pew publiée l’an dernier, 88 % des scientifiques croient qu’un aliment génétiquement modifié est sûr… contre 37 % du public.
C’est cet écart que tentait de mettre en lumière la lettre des 110 Nobel publiée à la fin juin: « Il n’y a jamais eu un seul cas confirmé d’un résultat négatif sur la santé pour les humains ou les animaux dû à leur consommation. Il a été montré à plusieurs reprises que leurs impacts environnementaux sont moins dommageables pour l’environnement et qu’ils représentaient une opportunité pour la biodiversité dans le monde. »
Dans son éditorial, Nature espère qu’à présent qu’opposants et promoteurs des OGM se sont entendus sur un étiquetage — en faisant des compromis de part et d’autre — des « discussions sur des questions plus urgentes » pourront être entreprises.
« De vastes ressources — en temps et en argent — ont été dévolues à ce débat sur l’étiquetage. Il y a maintenant une opportunité pour rediriger ces ressources.
En juin, l’Agence américaine de protection de l’environnement prévenait qu’elle n’en faisait pas assez pour surveiller l’évolution des insectes résistants aux pesticides produits par certains plants génétiquement modifiés. De mauvaises herbes résistantes aux herbicides utilisés sur certains plants GM empoisonnent aussi la vie des fermiers. Et des technologies avancées d’édition de gènes pourraient contribuer à mettre en marché une nouvelle génération de plants GM, mais les organismes réglementaires sont encore en train de se demander comment les aborder. »
L’éditorial renvoie entre autres à une analyse parue en mars, signée Jennifer Kuzma, qui enseigne les sciences sociales et codirige le Centre génie scientifique et société à l’université de Caroline du Nord: « Une question qui a dominé les débats : est-ce que la cible de la réglementation devrait être le processus par lequel des OGM sont produits, ou le produit OGM… Mais encadrer le débat autour de « produit contre processus » n’est ni logique ni scientifique. Cela empêche un dialogue productif sur le développement d’une supervision efficace, au regard des avancées rapides du génie génétique. »
Un argumentaire qui a moins provoqué de protestations que la lettre des 110 Nobel. Ceux-ci ne font pas qu’affirmer leur confiance dans le caractère sécuritaire des OGM, ils s’attaquent nommément à Greenpeace pour avoir adopté, dans le dossier des OGM, une attitude anti-scientifique: « ils ont déformé risques, avantages et impacts », écrivent les Nobel, qui reprochent également à Greenpeace d’avoir été « le fer-de-lance de l’opposition au riz doré, qui a le potentiel de réduire ou d’éliminer la plupart des décès et maladies causés par une carence en vitamine A ». Greenpeace a eu beau jeu de répondre que la mise en marché du riz doré n’est toujours pas approuvée et que son opposition n’est pas seule à peser dans la balance.
L’épithète anti-scientifique va néanmoins dans la même direction que l’éditorial de Nature. Et elle offre à Greenpeace une opportunité de repli, écrit Mark Lynas, lui qui a justement l’expérience du repli : il fut, jusqu’en 2012, un des chefs de file de l’opposition aux OGM, pour des raisons, a-t-il lui-même reconnu, qui n’avaient rien de scientifique. Dans un billet titré « La porte est ouverte, profitez-en, Greenpeace ! », il écrit :
« Cette obstination cause beaucoup de dommages non seulement à votre marque, en tant qu’organisation qui fait campagne au nom de l’humanité et de la planète, mais à vos autres campagnes, pour lesquelles vous vous devez d’être vu comme étant appuyé sur la science et sur les preuves — sur les forêts, les pêches, la biodiversité, les océans et le climat.
Ça ne veut pas dire que vous devez abandonner toute préoccupation à l’égard des OGM. Il y a des discussions légitimes à tenir sur qui contrôle la technologie, et dans quels intérêts elle est déployée dans différents pays. Mais comme n’importe où ailleurs, la solution réside dans le fait d’assurer qu’elle est déployée dans les intérêts des fermiers les plus pauvres et de l’environnement — et non en cherchant un moratoire total et indéfini sur la base de mythes et de désinformation que les scientifiques trouvent déconcertant ou risible. »
Son collègue blogueur et journaliste Kevin Folta renchérit par une proposition pour Greenpeace :
« Imaginez s’ils disaient : les Nobel ont raison et nous réfléchissons à notre position depuis un long moment… Bien que nous ne soyons pas en accord avec les multinationales et leur impact écologique, nous nous rangeons avec la science en concluant qu’il n’existe aucun impact de ces technologies sur la santé, et qu’elles peuvent même aider à combattre des déficiences nutritionnelles, des pertes d’espace à cause d’un climat changeant… »
C’est que pour un riz doré, il y a des dizaines de produits qui, s’ils ne portaient pas l’étiquette « OGM », seraient probablement approuvés pour consommation. Le nouveau magazine de vulgarisation Undark s’attardait récemment à l’un d’eux, un lait de chèvre qui, après deux décennies de recherches à l’université de Californie, posséderait le potentiel de sauver des vies parmi les 525 000 enfants — selon l’Organisation mondiale de la santé — qui meurent chaque année de complications liées à des diarrhées. Les chercheurs, écrit la journaliste, sont tombés tête première dans « un débat de pays riches » (first-world debate).
« C’est un conflit animé en partie par un arsenal rapidement croissant d’outils en génie génétique et par l’incapacité des politiciens et du public d’y mettre de l’ordre — ou même d’appréhender le large spectre de motivations pour manipuler des gènes, du commercial à l’humanitaire. Ce qui a laissé les chèvres de l’université de Californie, tout comme plusieurs autres animaux transgéniques, dans des limbes juridiques. Alors même que d’autres OGM, du maïs au poisson, obtiennent leur autorisation. »
Citée dans l’article, la généticienne californienne Pam Ronald, spécialiste d’un riz OGM, renvoie elle aussi à un débat qu’elle voudrait elle aussi sortir de l’impasse : « l’obstacle majeur à toute discussion est le mot OGM ; il ne veut rien dire. Chaque personne lui donne une signification différente. »
« Il est exact, renchérit le magazine Vox, que certains sondages ont découvert que 80 % des consommateurs soutiennent un étiquetage des OGM. Mais des sondages ont aussi découvert que 80 % des consommateurs soutiennent qu’on étiquette toute nourriture contenant de l’ADN. »
Comment redémarrer le débat sur des bases plus rationnelles ? Jennifer Kuzma rappelait en mars qu’il est utopique de croire qu’un système réglementaire puisse être 100 % « scientifiquement prouvé ». Les jugements de valeur seront toujours présents dans toute forme d’analyse de risque et méritent d’avoir une place.
Kuzma donne l’exemple du système norvégien de réglementation des OGM en place depuis 2005, où les fonctionnaires responsables de l’autorisation des nouveaux produits doivent s’appuyer sur les études environnementales et sanitaires, mais aussi sur la perception, qu’ont les participants aux consultations, des avantages du nouveau produit par rapport aux « alternatives ». Ce n’est qu’au prix de tels efforts, conclut-elle, que les décideurs réussiront à sortir du débat polarisé « produit contre processus et science contre valeurs » dans l’espoir de créer « un système de gouvernance informé par la science et guidé par les préoccupations et les valeurs des citoyens ».