Frank Zappa ( 1940 – 1993 ) est entré dans le confort des salons de l’Amérique en participant à bon nombre d’émissions télévisées. Le documentaire Eat That Question: Frank Zappa in His Own Words réalisé par Thorsten Schütte s’intéresse moins à son œuvre musicale et à ses controverses qu’à ses propos en ondes.
À une émission de variétés en noir et blanc, un adolescent s’apprête à jouer de la bicyclette comme d’un instrument en faisant participer l’orchestre en arrière-plan et l’assistance derrière la caméra. L’attitude stoïque du jeune qui se tient droit contraste avec celle de l’animateur qui tente de le parrainer à l’écran et de vulgariser sa performance pour que tous ceux qui regardent à la maison comprennent bien ce qui se passe en studio.
Frank Zappa va continuer d’entretenir ce rapport avec le petit écran. Avec le temps, ce ne sera plus son corps maigrichon qu’il exposera dans des émissions de variétés, mais son propos qu’il exprimera dans des « talk-shows ». Le public va s’habituer à loger son long nez sous une chevelure longue et frisée, au-dessus de sa grosse moustache et sa mouche épaisses. Il prendra tout son temps pour répondre aux questions en nous hypnotisant avec son regard fixe sous ses sourcils noir foncé.
Au fond, ce faux hippie aux allures de bête n’a rien de menaçant quand on prend le temps de l’écouter. Il nous explique que d’opter pour la création artistique quand on vit aux États-Unis exige de la préparation puisqu’il faut aller à contre-courant. Frank Zappa était un compositeur, alors il a dû se créer une niche à la hauteur de sa nature, du moins de ses ambitions artistiques. Son groupe Mothers of Invention a été un bon canal pour diffuser sa musique progressive en profitant de l’engouement pour le rock de l’époque.
Diable dans l’eau bénite
Frank Zappa a le mérite d’être à la fois compositeur et entrepreneur, qui crée l’œuvre et qui s’assure de la présenter au public. Comme le défunt Prince, le défunt Zappa détenait son propre studio chez lui. À cela, s’ajoute la défense de son entreprise sur toutes les tribunes. Il ne manque pas de souligner l’absence « d’enrichissement esthétique » dans le système d’éducation américain et d’écorcher au passage l’industrie de la musique en quête de mélodies attachantes et de profits.
La culture populaire semble figurer comme un cadre dans sa création. Il s’en inspire en mettant de l’avant ce qui est laissé dans l’ombre comme la vulgarité, d’une part. Il le transcende en nous plongeant dans une complexité musicale proscrite par les radios américaines, d’autre part.
Avec la vidéo 200 Motels (1971), le compositeur s’est approprié le médium télévisuel tout en faisant entrer la dynamique de tournée dans cette boîte. En contrepartie, il a collaboré avec le chef d’orchestre Kent Nagano au début des années 1980. Ainsi, l’Orchestre symphonique de Londres a interprété ses compositions.
Tout au long de son parcours, il n’a jamais voulu porter de message ou jouer pour une formation politique quelconque, seule la musique lui importait. Cette posture n’est-elle pas une cause à défendre dans le cadre d’une société consumériste?
Eat That Question: Frank Zappa in His Own Words réalisé par Thorsten Schütte sortira en salle le 8 juillet, après avoir été présenté en séance RIDM+ jeudi le 30 juin.