Considéré par plusieurs comme le meilleur épisode de la série Elder Scrolls, Morrowind, troisième opus de la franchise de jeux de rôle développée par Bethesda Softworks, n’est pas sans défauts malgré ses très nombreux bons côtés.
L’an de grâce 2002. Pour Bethesda, l’heure était à la révolution. Les deux premiers volets des Elder Scrolls, Arena et Dagerfall, se déroulaient sur des terres gigantesques. Et étant donné les limitations techniques des années 1990, il en résultait un monde souvent dénudé ou répétitif. Point de cela avec Morrowind, où l’action se déroule cette fois dans la province du même nom, et plus précisément sur l’île volcanique de Vvanderfell.
Le territoire est plus réduit, oui, mais les développements technologiques survenus depuis Dagerfall ont permis aux créateurs de donner naissance à un univers à couper le souffle: de l’architecture plus « classique » des villes et villages impériaux aux constructions en forme de champignons gigantesques, en passant par les installations toutes en courbes adaptées au désert et les titanesques monolithes de Vivec, la capitale, Morrowind est un kaléidoscope où chaque tournant peut faire découvrir un nouveau monde. À cela, il faut bien sûr ajouter les donjons, les châteaux et tous les autres recoins à explorer ou découvrir. Souvent au péril de sa vie.
Autre avantage de Morrowind sur ses successeurs Oblivion (2007) et Skyrim (2011): l’absence de fast travel. Procédé aujourd’hui quasi-unanimement employé pour réduire le temps de parcours entre deux endroits en permettant à toutes fins pratiques de se téléporter, le fast travel n’existe pas, ou à peu près pas dans Morrowind. Il y a bien quelques sorts qui permettent de revenir instantanément à certains endroits, mais pour le commun des mortels, il faudra prendre le transport en commun, c’est-à-dire les silt striders, de gigantesques insectes volants. Ou encore marcher et courir. En forçant les joueurs à agir de la sorte, les développeurs obligent en quelque sorte l’aventurier en herbe à explorer son environnement, quitte à prendre un ou deux détours pour tenter de glaner des trésors, des armes ou des points d’expérience.
L’idée est la même en ce qui concerne le compas directionnel, lui aussi présent dans Oblivion et Skyrim: le joueur désirant découvrir Morrowind après avoir joué à ses successeurs devra s’armer de patience. Si certaines quêtes comportent des indications claires et précises, d’autres mèneront à une bonne dose d’exploration, et ce avec la frustration qui peut l’accompagner. Un peu comme si notre héros devait affronter des habitants locaux bêtes comme leurs pieds qui ne veulent pas aider les touristes plus que nécessaire.
Il n’était certainement pas question, pour les développeurs du jeu, de prendre les aventuriers par la main, et cela se transpose également dans la quête principale. À partir de la même prémisse employée dans l’ensemble de la série Elder Scrolls (le héros est un inconnu commençant l’aventure en prison, avant de devoir accomplir sa destinée et triompher du Mal), le joueur doit gagner en force et en respectabilité pour convaincre les grandes maisons de Morrowind de s’unir pour vaincre le maléfique sorcier Dagoth Ur.
Ce faisant, et contrairement à Oblivion ou, pire, à Skyrim, où le retour des dragons et la guerre civile qui déchire la région sont en fait deux quêtes principales qui ne se recoupent pratiquement jamais, Morrowind force le joueur à diversifier ses activités et à s’intéresser aux quêtes secondaires pour faire progresser l’histoire. En fait, le mentor du joueur va carrément déclarer que le personnage du héros aurait besoin de gagner de l’expérience, et qu’il existe plusieurs guildes qui pourraient palier à ce besoin. La démarche est tout sauf subtile, mais la formule fonctionne. Après tout, à quoi bon se précipiter contre le chef des méchants si l’on est armé que d’un poignard émoussé et d’une armure de cuir bouilli?
Faire grincer des dents
Diversité visuelle, structure narrative solide, sans oublier la musique fantastique de Jeremy Soule… Morrowind, jeu parfait?
Loin de là. Le titre est fantastique, et certainement le plus original et le plus complet de la série. Mais les problèmes sont également légion. D’abord, son âge. Dans le monde du jeu vidéo, 14 ans est une éternité. Certains effets demeurent réussis après tout ce temps, comme lorsqu’il se met à pleuvoir, mais les textures sont grossières, leur définition ridicule. Les animations des personnages témoignent elles aussi des limitations techniques du début du siècle. On tente d’obtenir un semblant de fluidité, mais c’est souvent peine perdue.
La volonté des développeurs de coller aux règles fondamentales des jeux de rôle, avec les lancers de dés prévus pour Donjons et Dragons et ses figurines, ses papiers et ses crayons, donne pour résultat des combats ô combien frustrants en début de partie. Si l’envie vous prend de vouloir frapper dans le vide à répétition, c’est le jeu qu’il vous faut.
Et que dire du système de journal sans véritable organisation où les indices pour les quêtes s’entremêlent? Ou des foutus cliff racers, ces oiseaux du diable difficiles à atteindre qui peuvent se regrouper en essaims pour attaquer le joueur?
Morrowind est un goût qui s’acquiert. Et parfois un exercice particulièrement frustrant. Mais la richesse de l’oeuvre, la multiplicité des concepts, la multitude de petits détails ajoutés ça et là pour améliorer l’expérience… tout cela contribue à en faire un jeu exceptionnel. D’ailleurs, certains désagréments ont été corrigés lors de la sortie des deux expansions, ou peuvent l’être en installant des mods pour faire (pratiquement) passer le jeu à l’ère moderne. Ces ajouts logiciels sont nombreux, et sont disponibles gratuitement en ligne. Une équipe de développeurs a déjà transposé Morrowind dans le moteur graphique d’Oblivion, et est à pied d’oeuvre pour faire de même dans Skyrim. À croire que les joueurs sont prêts à consacrer énormément d’efforts pour préserver un classique.
Pour les amateurs, ou les téméraires, Morrowind est disponible sur Steam.