Mathilde Perallat
La pièce de Jean-Philippe Baril Guérard, présentée dans le cadre du OFFTA, interroge la possibilité que les machines nous remplacent.
Mieux connue sous le nom d’intelligence artificielle, elle prend ici la forme d’une jolie voix, un peu mécanique, mais qui a soif d’apprendre… à être plus humaine. Elle sait tout déjà pourtant, mais comme un dictionnaire, et elle a besoin de sentir, ou du moins qu’on lui explique ce que sont les sensations. Ce que c’est que la douleur par exemple, par rapport à la tristesse. Et pour cela, Madame la machine a encore besoin des humains. Pas facile l’humain, il est constitué de tout un tas de maladresses de langage. Rien en lui n’est réellement prévisible. Rien n’est immuable chez l’humain, sa mémoire elle-même est le chose la plus volatile qui soit : comble du paradoxe son passé continue à évoluer avec le temps. Et ça le rend difficile à imiter.
Dans le noir tel un gourou-yogi des temps modernes, la voix ouvre le spectacle, et sa présence paraît bienveillante. Le metteur en scène ne prend pas le parti d’une diabolisation de la machine.
Construite sous forme de tableaux enchainés interrompus par des noirs, l’intrigue se déroule au fur et à mesure des scènes ce qui permet au suspens de s’installer. Elle m’est apparue visuellement comme une sorte de bande dessinée.
Il s’agit d’un transfert. Le terme reste mystérieux un moment avant que l’on comprenne que la machine demande une cartographie des souvenirs à des personnes mortes afin de s’approprier leur être. Comme pris au piège par le désir de re-vivre, les personnages se voient accepter d’être dépouillés d’eux-mêmes. Le corps est usé, terminé, mais la machine peut récupérer ce qui existe encore à l’intérieur, ce que la personne a été. Seront-ils capables d’accepter de survivre ailleurs qu’en eux-mêmes?
Œuvre noire qui veut nous questionner; sommes-nous prêts à tout pour ne pas mourir? Les machines seront-elles capables un jour d’être comme nous ou l’homme gardera-t-il toujours sa singularité? Sommes-nous en train de nous déshumaniser en n’acceptant plus la mort?
Baril Guérard réussit malgré le thème quelque peu angoissant à laisser place à suffisamment de poésie pour qu’on se sorte pas trop affligés.
Pari osé, et réussi pour cette pièce courte qui mérite d’être vue.
Dans le cadre du OFFTA
Au Théâtre des Écuries
Les 31 mai et 1er juin