Sans nécessairement être extraordinaire, Maryland contient un lot particulièrement nombreux de qualités qui permettent aux spectateurs de passer un moment de cinéma aussi satisfaisant qu’hypnotisant alors que presque tous nos sens sont sollicités.
Nouveau long-métrage européen de la cinéaste Alice Winocour, Maryland n’a pas envie d’être autre chose que ce qu’il est. Ainsi, pas de prétentions, pas de désirs de « faire à l’américaine » et pas non plus d’ambition mal dosée de s’abandonner à un scénario qui s’essouffle à mi-chemin. Au contraire, tout comme ça sera le cas des dialogues qu’on noiera régulièrement dans le mixage sonore, on se rendra vite compte que la prémisse et les sous-histoires qu’elle croise au passage ne seront que des prétextes pour l’expérience multi sensorielle que le film aura envie de nous faire vivre.
Ainsi, oui, on suit Vincent, tout juste de retour de son service militaire en Afghanistan qui n’a qu’une seule envie: y retourner. Toutefois, ses conditions autant physiques que psychologiques le forcent à devoir prendre une pause qui ne se fera qu’à moitié alors qu’il se trouvera un boulot temporaire en un garde du corps pour la femme et le fils d’un homme très important. Un entre-deux qui deviendra rapidement tout sauf le petit passe-temps léger et relax qui avait été annoncé.
Envahi de sa propre paranoïa, notre protagoniste se retrouvera malgré lui impliqué dans une sombre aventure où chaque recoin semblera empli de doutes, de craintes et de dangers. Dans quoi Monsieur peut-il bien être impliqué? Qui sont ces gens qui semblent vouloir s’en prendre à sa famille? Quel rôle peut-il bien jouer dans tout cela? Est-ce nécessaire et possible d’assurer son travail jusqu’au bout?
Tant de questions qui auront les réponses qu’un tel long-métrage peut bien mériter puisque sa très poétique quoiqu’étonnante fin ouverte continuera longuement le débat d’un film qui s’avérera exigeant pour tout spectateur, n’en déplaise à sa remarquable mise en scène qui saura ravir de par sa maîtrise. Du coup, grandement épaulé de Mike Lévy a.k.a. Gesaffelstein à la trame sonore mi-glauque, mi-électro, on creuse dans un suspense psychologique lent qui va certainement chercher ses aspirations chez Michael Haneke notamment.
Bien sûr, le montage précis, les très beaux ralentis et ce visuel qui balaie les espaces du regard pour mieux en accentuer les craintes et les anxiétés sont toutes des qualités qu’on salue, mais c’est définitivement le travail sonore conçu par Nicolas Becker (qui a travaillé notamment sur des productions comme Gravity, Ex Machina et Micmacs à tire-larigot) qui vient le plus surprendre. Dès le départ, on conçoit rapidement une ambiance unique qui saura mettre l’emphase sur ce suspense à retardement qui inquiète dès le départ sans pour autant qu’on sache pourquoi alors que la ou les menaces se bâtissent subtilement dans la narrativité.
Et cette précision sonore aide à favoriser le huis clos qui se forme délicatement alors que même les scènes de foule surprennent de par leur intimité. Le film est d’ailleurs particulièrement efficace lorsqu’il tire profit de ses propres limites et qu’il se nourrit de ses moyens restreints, offrant un grand espace de jeu en termes de lieux à ses comédiens et pourtant si peu de place pour s’émanciper cinématographiquement parlant. De plus, tout doit être soit physique ou soit très psychologique étant donné la quiétude qu’on prône majoritairement.
Certes, l’élégance de Diane Kruger a tour pour incarner cette figure de richesse qu’on veut sauver malgré sa certaine insipidité, mais, comme toujours, c’est Matthias Schoenaerts qui continue indubitablement de marquer de par son excellence. Dans ce rôle écrit spécialement pour lui, il s’imprègne encore corps et âme pour livrer une performance sentie. Après tout, il s’en est rendu malade et ça se sent, alors qu’il incarne avec brio tout le poids de la guerre qui pèserait sur la conscience de son personnage. Représentant comme il sait si bien le faire un équilibre parfait entre la force de corps et la force d’esprit, n’en déplaise aux tourments dépeints.
Enfin, Maryland peut d’une certaine façon paraître insuffisant. Sans s’attarder à approfondir son scénario ou à développer l’un ou l’autre des sujets qu’il aborde (les traumatismes de guerre, les magouilles, les complots, les excès, etc.), sans nécessairement apporter de conclusion à son rythme qui fait ronger les sangs à force de se demander avec angoisse s’il va ou non se passer quelque chose, on peut comprendre pourquoi plusieurs pourraient ressortir en restant sur leur faim. Néanmoins, la maîtrise technique est par moment si impressionnante et méticuleuse, le tout hypnotique, et la performance de Schoenaerts magnétique, qu’on ne peut qu’apprécier l’ensemble et espérer que le meilleur pour la suite de la cinéaste.
Une expérience majoritairement convaincante qui se vit définitivement très bien dans les contraintes des salles sombres.
6/10
Maryland est à l’affiche en salles depuis le vendredi 6 mai.