Il est déjà difficile de savoir ce que quelqu’un pense, mais que dire lorsqu’il s’agit d’un bébé? Et comment réglerons-nous cette question avec des robots?
Mine de rien, le « club » de ceux à qui on accorde le droit de penser s’est beaucoup élargi au cours du dernier siècle. Il fut un temps où, dans les sociétés occidentales, un enfant n’était qu’un être humain pas complètement formé, qui n’avait donc aucune protection légale. Aujourd’hui, on tente de déchiffrer ce que pensent les bébés, mais également les animaux. Ainsi que les embryons. Ainsi que les membres d’une nation ennemie. Et même les groupes: le concept de « pensée de groupe » est désormais bien incrusté dans la sociologie.
Gravitent également autour de ces réflexions philosophiques les morts… et Dieu. Et les robots commencent à frapper à la porte.
Ce concept touffu de « club de l’esprit » est derrière un ouvrage qui vient de paraître, The Mind Club, résultat d’une collaboration entre le psychologue de l’Université Harvard Daniel Wegner, qui a longuement écrit sur ces questions jusqu’à sa mort en 2013, et son collaborateur Kurt Gray.
À l’heure où nous parlons d’ores et déjà à nos ordinateurs, la question n’est pas hasardeuse. C’est d’ailleurs, soulignent ces auteurs, le fait d’avoir ajouté autant de nouveaux membres au « club » dans le dernier siècle qui nous permet aujourd’hui d’avoir deux critères: l’organisation et l’expérience. « Organisation » désigne la capacité d’un esprit à planifier et à agir; « expérience » couvre la douleur, le plaisir et le ressenti. Un robot éprouve-t-il de la douleur ou du plaisir? Pas encore. Mais un bébé, sans aucun doute. Ce dernier peut-il, en revanche, planifier une tâche? Pas plus que la plupart des animaux. Est-il donc exclu du club?
L’hypothèse de Wegner est donc que ce club est un continuum. C’est ce qui explique que ces deux critères nous servent dans la vie de tous les jours: nous classons continuellement amis et collègues comme plutôt calculateurs (organisation) ou émotionnels (expérience), ce qui en retour détermine la façon dont nous interagissons avec eux. Résultat : ces critères ne sont pas des constructions mathématiques. Nous y mettons le fruit de notre propre pensée subjective. Ainsi en est-il de l’ultime candidat, Dieu: « les gens religieux, écrivent les auteurs, voient la volonté de Dieu sur une base quotidienne tandis que les athées ne voient que du hasard ».
Là où ça se complique, c’est que notre perception d’une pensée chez l’autre est d’autant plus biaisée que nous avons systématiquement du mal à nous évaluer nous-mêmes: de ceux qui surestiment leur Q.I. jusqu’à ceux qui, en laboratoire, justifient un choix qu’ils n’ont en réalité jamais fait. Que reste-t-il du célèbre « je pense donc je suis » dans tout cela ?