Hugo Prévost
La mère absente, le père maladroitement présent, les enfants partis, ou encore qui souhaitent prendre le large… L’environnement familial de Louder Than Bombs, un film réalisé et co-écrit par le Norvégien Joachim Trier, fait se télescoper les thèmes de l’amour, de la mort, de l’adolescence, de la remise en question… bref, personne n’en sort vraiment indemne.
Voilà trois ans que la photographe Isabelle Reed est morte. Spécialiste du reportage de terrain, et surtout de la photographie de guerre, Reed (Isabelle Hupert, que l’on devine torturée) était rarement à la maison, boulot oblige. La Bête de l’information exige qu’on la nourrisse, et ce même au mépris de la vie familiale.
Trois ans après sa mort, donc, un journaliste et ami de la famille veut publier un article venant encadrer une exposition rétrospective de celle qui est morte dans un accident de voiture. Mais était-ce réellement un événement fortuit? Le journaliste semble penser qu’il s’agit d’un suicide. Chez la famille de la défunte, c’est la consternation. Le père (Gabriel Byrne) constate déjà que ses liens avec son plus jeune fils sont particulièrement ténus. Celui-ci, comme tout bon jeune en crise d’adolescence, insulte son père, se colle à l’écran de son ordinateur pour jouer à des jeux vidéo, et écrit de la prose mi-originale, mi-effrayante à une jeune fille.
Il ne faut pas non plus oublier l’autre fils, celui qui a « réussi » sa vie et qui est jeune papa, mais qui est surtout en pleine crise existentielle.
Toutes ces histoires s’entrecoupent et s’entrechoquent dans ce drame qui n’en fait jamais trop, mais qui frôle la mince ligne entre le scénario convenu et la foire d’empoigne. Heureusement, d’ailleurs, Trier garde le contrôle sur sa création et évite tout dérapage.
La fin tragique du personnage d’Isabelle Hupert rappelle un peu celle de Marie Colvin, véritable légende du photojournalisme, tuée sous les bombes du régime de Bachar al-Assad alors qu’elle trouvait refuge dans un immeuble situé en zone rebelle, en Syrie. Si le film ne s’intéresse malheureusement pas suffisamment à la question du journalisme, la notion de reconnaissance du travail – et des risques! – est abordée par la bande lors d’une discussion entre le père et la mère. Le premier trouve que son épouse passe trop de temps loin de la maison. La deuxième dit croire que le jeu en vaut la chandelle, et qu’une dernière mission viendra clore sa carrière en beauté. Alors que les deux discutaient d’un voyage en Afghanistan où Reed a réalisé ce qu’elle considère comme certains de ses meilleurs clichés, le type assis à la table d’à côté feuillette le journal où est publiée l’une des photos en question, survole l’article et change de page. Dur retour à la réalité…
Louder Than Bombs est un drame à échelle humaine. Et c’est sans doute cela qui distingue le film d’une quantité astronomiques d’équivalents américains n’ayant pas réussi à captiver les foules. De fait, les problèmes de cette famille sont à l’image de cet article et cette photo nonchalamment survolés par le lecteur assis au café.
Produit culturel particulier, Louder Than Bombs mérite d’être vu. Ne serait-ce que parce que la mort, la paternité et l’adolescence sont finalement similaires sous bien des aspects.