Rue Sherbrooke Ouest, l’amphithéâtre de l’UQAM est déjà rempli lorsqu’Yves Gingras prend la parole. La lumière est tamisée, l’endroit silencieux, quelques rires répondent à l’humour de ce professeur d’histoire qui prêche ici à des convertis. Tel un conseiller conjugal, il retrace l’histoire de la relation houleuse… entre science et religion.
Yves Gingras est titulaire de la Chaire de recherche en histoire et sociologie des sciences à l’UQAM, il est l’auteur de L’impossible dialogue paru en février. S’il a repris la plume, c’est qu’on parle de plus en plus de l’importance d’un dialogue entre la science et la religion, ce qui le fait grincer des dents. Surtout quand il lit le philosophe Charles Taylor : « le divorce des sciences naturelles et de la religion a causé des torts aux deux ». Car selon Gingras, c’est plutôt leur divorce qui a libéré la science de l’oppression de l’Église.
Rappelons que le 5 mars 2016 était le 400e anniversaire de la mise à l’Index des écrits de Copernic sur l’héliocentrisme. Ils s’ajoutaient ainsi à une liste déjà longue : Index librorum prohibitorum, ce catalogue créé à la demande de l’Inquisition en 1564, de tous les ouvrages interdits, par l’institution catholique.
Le professeur Gingras revient avec humour sur les pirouettes dont font preuve les scientifiques penseurs des derniers siècles. Ainsi, Lamarck : pour que sa Théorie de la Transformation puisse éviter le tampon « hérésie », il rédige toute la partie sur l’humain au conditionnel. Mais Gingras rapporte aussi l’existence de ces religieux courageux et progressistes ouverts à la science et à ses avancées, souvent écartés par l’institution. Comme le révérend John Augustine Zahm, favorable à la théorie de l’évolution, qui doit écrire sous pseudonyme pour éviter l’excommunication.
Pour l’auteur de L’impossible dialogue, les sciences et les religions ne s’intéressent tout simplement pas au même sujet et n’ont donc pas de raisons d’être en désaccord : les premières traitent de la nature et les autres du surnaturel. Il reprend les mots du Frère Marie Victorin en 1926 : « les tentatives concordistes… ont nui à la religion aussi bien qu’à la science elle-même ». Il faut attendre 1979 pour que l’Église, à travers Jean Paul II, reconnaisse l’erreur qu’elle a commise envers Galilée.
Yves Gingras confie à l’auditoire, à demi-mot, une de ses inquiétudes. Aujourd’hui, les fondations qui encouragent à la rencontre, au dialogue science-religion, le font dans l’intérêt religieux. Par exemple, quand le prix Templeton tient à ce que le montant d’argent remis soit toujours supérieur à celui du Nobel, l’historien et sociologue le voit comme une défense subtile de la religion avec une instrumentalisation de la science. Fervent défenseur de l’autonomie scientifique, il cite avec force Schopenhauer: « le savoir est une matière plus dure que la foi, quand les deux s’entrechoquent, la foi se brise ».