À l’entrée principale de la bibliothèque Marc-Favreau, une indélogeable colonne en perforation esquisse le célèbre clochard verbomoteur: Sol. Le chargé de projet de l’agence Dan Hanganu Architectes, Gilles Prud’homme a créé cette architecture en s’inspirant de ce personnage télévisuel et scénique. L’inauguration de la bibliothèque située dans l’Arrondissement Rosemont- La Petite-Patrie a eu lieu le 5 décembre 2013.
L’architecte de l’agence Dan Hanganu à laquelle les Montréalais doivent le Musée Pointe-à-Callière, le Théâtre du Nouveau Monde (TNM) et le nouveau HEC, a conçu une architecture qui non seulement respecte, mais dépasse les exigences technologiques et environnementales. « On ne fait plus une bibliothèque comme avant. Elle est devenue l’un des derniers lieux publics. C’est presque une place communautaire. Il faut revoir le concept, l’adapter aux nouvelles technologies », estime Gilles Prud’homme, lit-on dans La Presse + du 4 mai 2013. Il a repensé ce lieu où on consulte des livres.
Repenser l’espace conçu pour les livres implique de concevoir à nouveau le codex, la forme du livre, c’est-à-dire une série de pages reliées. « Les bibliothèques se sont fait avoir parce que nous sommes investis dans le codex, et le codex est devenu dépassé », a affirmé le directeur d’une bibliothèque du Michigan Eli Neiburger dans une conférence très prisée du Library Journal en 2010, d’après le New York Review of Books du 26 octobre 2015. Tout porte à croire que pour la bibliothèque Marc-Favreau, le clochard verbomoteur personnifie à la fois le codex et le lieu.
La nouvelle architecture enchâsse une partie de l’immeuble à l’adresse 700 boulevard Rosemont. Le bâtiment patrimonial abrite un grand Centre de la Petite Enfance (CPE) sur ses trois étages. « Je suis allé chercher loin dans mon enfance et dans mon subconscient toute la naïveté et la candeur imaginable que ce que je pouvais être tout petit pour créer ce personnage-là », confie Marc Favreau à l’émission Second Regard diffusée sur les ondes de Radio-Canada en 2001, peu de temps avant son décès. Le deuxième étage de la bibliothèque s’encastre dans l’immeuble de style Art déco (1931-1958). Les briques brun-jaune forment ainsi les murs intérieurs et extérieurs de cette section.
À l’intérieur, lorsqu’on monte l’escalier pour se rendre au deuxième étage, on soulève la tête pour observer cet amas de cul-de-poule et de matériaux métalliques disparates. Il s’agit d’un luminaire créé par l’artiste Emmanuel Cognée de Lampi Lampa. À quelques pas, l’œuvre de l’artiste Adad Hannah traverse de haut en bas l’espace de 3000 m2. L’installation sculpturale aérienne composée de panneaux translucides rappelle les tissus du manteau du clochard qui le gardait au chaud. Au fond de la superficie, on trouve l’unique salle où règne le silence, là où trône un foyer.
« Il ne faut pas exagérationner », affirmait Sol.
On a divisé l’espace de façon à réserver les salles à des usages particuliers. Le plancher de la salle destinée aux enfants de moins de quatre ans est chauffé. La « zone » pour adolescents est équipée pour la création multimédia, pour la projection de films et pour jouer à des jeux vidéos. Il n’est pas interdit de parler, de manger, de téléphoner ou de boire un café dans la bibliothèque du « vagabond à rien » qui n’était pas allé à l’«adversité». La vocation de la troisième bibliothèque de l’arrondissement demeure familiale tout en étant à la fine pointe de la technologie.
Construite à l’angle de la rue de Saint-Vallier et du boulevard Rosemont sur le site des anciens ateliers municipaux, dans un nouveau développement résidentiel de 500 logements, on accède à ce lieu par la piste cyclable ou en transport en commun via la station de métro au coin de la rue. Autour de la bibliothèque, on poursuit l’aménagement de l’espace Luc Durand alias Gobelet. Une façon de rendre également hommage au fameux complice de Sol.
De la « fuite » dans les idées
La lumière se déverse dans les salles à travers les murs rideaux. Si les uns sont troués comme le « déficient manteau » du « vermouilleux », les autres complètement vitrés sont découpés en losanges comme la veste du « pôvre petit moâ ».
« Pour nous, il était important que le caractère simple, la transparence, l’humour et l’amour de la nature qui habitaient Marc Favreau se reflètent dans ces lieux », soutient l’architecte Gilles Prud’homme au quotidien Le Devoir du 5 septembre 2013.
Après le luminaire chromé, les panneaux translucides colorés, un troisième élément traverse les deux étages : une vigne de lierre grimpant. La plante prend racine dans cette section qu’on a appelée le « coffre » constitué de bois blond.
Autre section à ne pas manquer, la « lanterne » se perche au-dessus de l’entrée principale. Ce bloc de verre s’illumine le soir pour offrir un spectacle de jeux de lumière aux passants.
Montréal honore son statut de ville UNESCO de design avec cette nouvelle architecture qui a reçu une certification LEED Argent entre autres pour ses surfaces en bambou et son toit blanc.
« La justice a beau suivre son cours, elle n’est jamais assez instruite », affirmait le clochard verbomoteur de Marc Favreau.
Ce texte a reçu une citation de la part du jury du Concours Jeune critique en architecture de la Maison de l’architecture du Québec (MAQ). La remise des prix a eu lieu le 5 avril au Centre Phi.