Elon Musk est un génie. Et aussi un salopard. Derrière Tesla, SpaceX ou encore Hyperloop se cache un être complexe, parfois impulsif, souvent passionné, voire même visionnaire. Dans un ouvrage quelque peu pompeusement intitulé Elon Musk – L’homme qui va changer le monde, Ashlee Vance explore les aspects public et privé de ce Sud-Africain qui bouscule tout sur son passage.
Le livre, d’abord, avant de passer à l’homme et à son oeuvre. Rédigée en anglais, l’ouvrage est bien entendu passé à la traduction avant d’être réédité chez Edito et d’atterrir chez les libraires francophones. Et pour une rare fois, la traduction est non seulement bonne (un exploit en soi), mais conserve ce petit plus qui accroche le lecteur.
La verve et le bagout de Vance sont ainsi conservés pour améliorer l’impact de la biographie. Et on peut dire que l’écrivain sait y faire pour créer une ambiance. D’ailleurs, il l’avoue lui-même en début d’ouvrage: Elon Musk est quelqu’un de réservé et il sera difficile de fouiller profondément dans son passé. Le principal intéressé s’est même laissé désirer pendant un certain temps avant d’accepter de répondre aux questions du journaliste. Ce dernier a par ailleurs pris le temps de trouver le plus de sources possible. Des proches de Musk en passant par son ex-femme, des employés actuels ou passés de Telsa et Space X, ou encore d’anciens concurrents, voire même d’anciens partenaires du temps de PayPal, tout y passe, et l’ensemble permet effectivement de mieux cerner la personnalité d’un Elon Musk qui, sur la couverture même du bouquin, semble à la fois afficher un certain dédain pour le photographe et les lecteurs, et se dire qu’avec le temps consacré à cette séance, il aurait tout le loisir de lever quelques millions supplémentaires ou de tenir une réunion d’équipe.
On pourrait reprocher le côté un peu majorette de Vance, qui répète à l’envi que Musk va changer le monde, que Tesla et Space X, ou même PayPal ont révolutionné la façon de faire des affaires, et que le rythme de travail insensé d’une start-up, avec ses burnouts à la clé et l’intransigeance patronale qui l’accompagne, représente le nec plus ultra de la gestion d’entreprise. Il faut pourtant se rendre à l’évidence: si Musk n’avait effectivement pas chamboulé l’ordre établi en proposant une nouvelle façon de voir le monde, si son histoire tournait plutôt autour d’une entreprise à la Facebook, par exemple, on aurait crié à la dictature.
Vers l’infini, et plus loin encore
Ce qui nous amène à l’homme et à sa vision. Bourreau de travail absolu, avec un rythme et un tempérament qui l’empêchent visiblement de vivre une vie de famille normale (il vient de divorcer pour la deuxième fois d’avec sa deuxième femme, et a cinq enfants d’un premier mariage), Elon Musk a réussi un tour de force: donner l’impression que tout est possible.
Le marché de l’automobile piétine? Les grands constructeurs font du surplace depuis des années après avoir étouffé pratiquement toute concurrence? Et hop, Musk a créé, après beaucoup d’efforts de la part de son équipe, une voiture conçue et fabriquée aux États-Unis, ou plutôt une série de voitures entièrement électriques, avec une autonomie impressionnante et une allure d’enfer, tout en concevant des stations qui rechargent les piles en une vingtaine de minutes. Ces voitures luxueuses sont chères? Tesla va dévoiler cette semaine son modèle de berline « grand public », qui devrait se vendre à 30 000 $ US, un prix qui pourrait scier les jambes de Ford, Chevrolet et autres. Des constructeurs qui ont déjà versé, suite à l’apparition de Tesla, des milliards en développement de voitures hybrides et électriques.
Et Space X? Space X, bon sang! Elon Musk et son équipe ont réussi à injecter une forte dose des bons aspects du capitalisme (multiplication des concurrents, baisse des prix) dans un secteur sclérosé, surtout depuis la mise à la retraite des navettes spatiales.
Mieux encore, Space X a modernisé les équipements employés pour les vols spatiaux. Sa capsule Dragon, qui transportera bientôt des astronautes, est débarrassée de la quasi-totalité des contrôles ancestraux des Soyouz russes pratiquement inchangés depuis 40 ans. L’objectif? Mars!
Comme si cela n’était pas suffisant, l’obsession de la réduction des coûts a poussé Musk et ses ingénieurs à développer un système permettant le retour contrôlé sur Terre des fusées de lancement Falcon. Le chemin est ardu, et les explosions sont nombreuses, mais le grand patron ne semble pas trop s’en soucier. Après tout, chaque échec permet de progresser un peu plus, et le satellite transporté dans le nez de la fusée est malgré tout placé en orbite.
À cet optimisme technologique et scientifique débridé, il est nécessaire d’ajouter Hyperloop, un projet de train quasiment sous vide directement sorti des récits de science-fiction des années 1930. Elon Musk est un rêveur, et comme il a les moyens de ses ambitions, il ne se prive certainement pas de tenter de les réaliser.
Non, Musk n’est pas parfait, bien loin de là. Mais qui voudrait d’un visionnaire totalement lisse? Et comme il semble travailler aussi fort que ses ingénieurs les plus dévoués, le premier venu serait mal placé de lui reprocher d’exiger l’impossible. Elon Musk – L’homme qui va changer le monde, une biographie au titre optimiste, mais aussi à la prophétie autoréalisatrice. Après tout, ne l’a-t-il pas déjà changé, ce monde?
Elon Musk – L’homme qui va changer le monde, d’Ashlee Vance, publié chez Édito. 350 pages.