Cela devait être « le siècle » de l’architecte et urbaniste Charles-Édouard Jeanneret-Gris, surnommé Le Corbusier. Né à l’aube des grands bouleversements de la société occidentale, cette homme originaire de Suisse est rappelé à notre mémoire dans le cadre du Festival international du film sur l’art (FIFA).
Tourné à l’occasion du 50e anniversaire de sa mort, le documentaire Le siècle de Le Corbusier, de Juliette Cazanave, se plonge donc dans la vie de cet homme ayant grandement influencé la façon de concevoir la ville et, jusqu’à un certain point, le vivre-ensemble moderne. « Ce ne sont pas toutes les maisons qui doivent avoir un toit pointu », disait cet homme émacié, au regard sévère derrière ses lunettes rondes. Et, de fait, Le Corbusier laissera son imprimatur sur le paysage urbain. Non, ce ne fut pas la fin de la maison unifamiliale, mais plutôt le début des îlots de béton séparés par de grands boulevards.
Haussmann a eu ses bâtiments avec leurs combles; Le Corbusier aura sa ville radieuse, ses grandes cités de verre et de béton modulables. L’éclatement de la Deuxième Guerre mondiale sera d’ailleurs l’occasion pour lui de mettre ses idées en place, bien que la résistance sera grande face à ces changements en profondeur.
De cette vision résolument moderniste, avec des locaux répétés à l’infini mais fonctionnels, le tout s’appuyant sur l’utilisation massive du béton, on ne retirera, au final, que les concepts les plus terre-à-terre, en laissant de côté l’entièreté de la question des aménagements paysagers et urbains. Les larges bandes de terre boisées et ombragées surplombant les autoroutes et voies rapides n’ont jamais vu le jour, offrant plutôt au citadin le déprimant spectacle des blocs appartements aux allures soviétiques s’espaçant entre les centres commerciaux bas de gamme et les devantures grises et tristes.
Le Corbusier souhaitait des constructions solides et durables pour les travailleurs, en concordance avec son désir de s’affranchir des « vieilles valeurs » ayant conduit par deux fois à la chute de l’Europe? On a plutôt droit aux cités mal famées en France, ghettoïsées à l’extrême. Et de ce côté-ci de l’Atlantique, à des tours de condos construits à grande vitesse pour être ensuite vendus à vil prix à des travailleurs qui se fichent bien de la mixité sociale et n’ont pour désir que de se rendre le plus rapidement au travail. En voiture, bien entendu.
Certes, Le Corbusier était loin d’être parfait. Après tout, qui accepterait de raser une bonne partie de Paris (ou de n’importe quelle grande ville) pour y installer ces grandes tours en béton qui inspireront quantité de films dystopiques, d’Akira à Dredd? Et cela, c’est sans parler des valeurs politiques de l’homme, qui avaient des airs sulfureux d’autoritarisme, voire de fascisme. Mais Le Corbusier avait compris la nécessité de planifier l’urbanisme à grande échelle dans une perspective résolument moderne, tout en préservant une certaine joie de vivre, le côté agréable de la vie en société, même si cela implique de vivre à plus d’un millier dans une même tour d’habitation. Dommage que les planificateurs urbains et les administrateurs municipaux n’en aient retenu que l’argent facile provenant des revenus fonciers.