Le sacre du printemps de Stravinsky est une de ces pièces exquises du répertoire classique qui ne cessera certainement pas de sitôt d’être jouée et rejouée – peut-être jusqu’à l’écœurement.
Espérons toutefois qu’elle n’atteindra jamais le niveau de Für Élise, qui hélas sera à jamais stigmatisée pour tout pianiste amateur ou professionnel qui a un jour eu à jouer l’œuvre (malgré tout magnifique) de Beethoven à la demande générale de parents ou amis. Malgré la familiarité de l’air, joué à l’OSM dès 1957, Nagano arrive pleinement à donner à l’œuvre de Stravinsky ses lettres de noblesse, avec une rage et une ardeur délectables.
D’entrée de Jeux, le ton est donné avec un Debussy vif, dont les accords discordants ne sont pas sans rappeler certains de ceux du Sacre. Un bref intermède pour placer le piano – et c’est le Concerto pour piano no 3 en do majeur, op. 26 de Prokofiev dans toute sa force et sa virulence qui succède aux Jeux plus discrets. Disons que l’interprétation impressionnante de Daniil Trifonov n’est pas étrangère au succès magistral de l’œuvre. Son énergie, la manière dont ses doigts semblent possédés d’une vie qui leur est propre, le brio avec lequel il s’attaque avec fougue à un Prokofiev tout en force – autant d’attributs qui rendent sa performance aussi superbe que fascinante. Avec une envolée explosive qui continue d’atteindre son paroxysme jusqu’aux toutes dernières harmonies, on ne peut que contempler de manière abasourdie l’aisance du jeune prodige russe à manipuler chacune des touches du piano comme autant de mesures divines.
D’ailleurs, après une ovation debout et près de quatre rappels (plus que mérités), le pianiste fait la grâce au public de jouer un morceau impromptu, soit la transcription par Pletnev de la Fée d’argent, que l’on retrouve dans La belle au bois dormant, tout en légèreté et en raffinement. Un moment aussi enchanteur qu’inopiné!
Suit finalement le très beau Sacre du printemps, pour clore une soirée toute en contrastes sur une note peut-être (volontairement) discordante, mais certainement pas moins excellente. Chapeau à Kent Nagano et à l’orchestre symphonique, qui nous livrent encore une fois une performance à la hauteur de leurs réputations respectives, avec une forme splendide et vivifiante.
Le sacre du printemps dirigé par Kent Nagano a été présenté les 8, 9 et 10 mars à la Maison symphonique et sera en tournée aux États-Unis au cours des prochains mois.