Qualifié de virtuose par la prestigieuse publication The Great Jazz Guitarists, le montréalais Jordan Officer lançait l’automne dernier son troisième album solo, intitulé Blue Skies. Alors qu’il s’apprête à faire sa grande rentrée montréalaise ce jeudi avant d’amorcer une tournée du Québec, Pieuvre.ca s’est entretenu avec le musicien.
On te considère comme un virtuose de la guitare, mais j’ai lu que tu avais tout d’abord commencé par étudier le violon et la cornemuse. Qu’est-ce qui t’as attiré vers la guitare à l’origine?
Jordan Officer : J’ai commencé le violon dans mon enfance, quand j’avais trois ans. Mes parents sont de grands amateurs de musique, et ma mère aurait aimé avoir des cours quand elle était petite. Elle a fait en sorte qu’on n’ait pas seulement des cours, mais qu’on soit en contact avec plein de styles. Elle nous emmenait dans les festivals voir de la musique classique, dans des bars voir des groupes. Un jour, j’ai vu quelqu’un jouer de la cornemuse dans un festival. Ça m’a vraiment impressionné, et j’ai demandé à mes parents si je pouvais suivre des cours. J’ai fait ça durant plusieurs années, mais c’était vraiment quand j’étais enfant. Au secondaire, il y avait une guitare qui traînait dans la maison. Je commençais à écouter du Led Zeppelin, Jimmy Hendrix, Deep Purple, des groupes comme ça, puis j’ai décidé que je voulais apprendre la guitare. J’ai commencé juste comme ça, parce qu’il y en avait une qui traînait. C’est par Led Zeppelin, lorsque j’ai découvert leurs racines, leurs influences, qui étaient surtout du blues, c’est là que j’ai vraiment développé une passion encore plus forte. Mes premiers bands étaient des bands de blues. L’idée de jouer professionnellement et tout ça, c’est vraiment parti de là.
On a le préjugé que le blues est issu de la douleur, qu’il faut avoir mal pour faire du blues. Pourtant, quand on écoute ton dernier album, qui s’intitule Blue Skies en plus, on n’a pas l’impression qu’il a été accouché dans la souffrance…
Jordan Officer : Oui, c’est vrai. Je pense qu’il y a une part de vérité là-dedans. Le blues vient d’une souffrance, il vient de gens qui n’avaient pas beaucoup d’argent, qui n’avaient pas nécessairement des conditions de vie faciles, et c’était une façon d’exprimer ça, mais en même temps, cette musique a aussi servi à exprimer leur bonheur de vivre, leur joie de faire de la musique. Il y a beaucoup de joie dans le blues, et de la douleur en même temps. Même si je ne viens pas de la même culture, je pense que tout le monde souffre. Le blues est une musique qui vient des tripes, on dirait que ça nous ramène à l’essentiel, et je pense que c’est pour ça que ça parle à beaucoup de gens, qui ne font pas nécessairement partie de la culture d’où le blues vient à l’origine…
Donc, c’est davantage une question de se connecter à ses tripes…
Jordan Officer : Je pense que oui. De toute façon, la souffrance, on ne passe pas à côté, anyway. Mais c’est certain que différents styles de musique peuvent plus parler à différentes personnes. C’est une question de personnalité. Dans mon cas, ça a vraiment résonné avec moi. Après, j’ai découvert le jazz, j’adore la musique country, le rock et tout ça, mais on dirait que pour moi, le blues, c’est toujours le noyau…
On retrouve deux de tes compositions sur Blue Skies, mais tu y interprètes surtout des pièces d’autres artistes. Qu’est-ce qui t’a donné le goût de faire un album de reprises?
Jordan Officer : Je dois dire que ça a été une surprise, puisqu’il n’y avait pratiquement que des compositions sur mon album précédent, I’m Free. Quand j’ai commencé à chercher du matériel pour un nouvel album, j’ai dû faire des démos de plus d’une centaine de chansons, dont plusieurs compositions. Comme je chante beaucoup plus qu’avant, on dirait que les morceaux qui résonnaient le plus pour moi à ce moment-là étaient des reprises. Ce sont des chansons de styles différents, pas nécessairement du blues. J’en ai pris une de Louis Armstrong, il y a une chanson pop des années 1960, une pièce de Tom Waits, mais ce sont toutes des chansons qui ont résonné avec moi à différentes époques de ma vie. C’est un genre d’autobiographie musicale, et je pense que c’est la première fois de ma vie qu’en tant que chanteur, interprète et musicien, je peux vraiment ajouter quelque chose à des chansons comme ça, et avoir ma voix. Faire des reprises qui disent quelque chose d’original.
Tu refais Then She Kissed Me, une pièce des Crystals qui a été reprise par Kiss, par Bruce Springsteen, par plusieurs autres musiciens… Comment on fait pour prendre une chanson reprise des dizaines de fois et se l’approprier pour en faire une nouvelle pièce?
Jordan Officer : Puisque c’est une chanson chantée d’abord par un groupe de filles, je trouvais que ça me donnait quand même une liberté. Quand un homme fait une chanson qui a été popularisée par une femme, ou l’inverse, je trouve qu’on est moins enclin à se comparer à l’original, parce que, de toute façon, ça devient très différent, on saute immédiatement dans un autre monde. J’étais en Californie, et j’étudiais avec Dennis Budimer, un guitariste qui faisait partie de ce qu’on appelle le « Wrecking Crew », une petite clique de musiciens qui ont joué sur quasiment tous les hits qui sont sortis de L.A. à une certaine époque, dont tous les albums produits par Phil Spector. Je réécoutais des chansons de cette époque, et j’ai eu un flash que Then He Kissed Me, ça serait le fun de la faire en blues.
Tu as enregistré une partie de Blue Skies en Californie… Est-ce que ça apporte un son différent à l’album d’aller travailler là-bas?
Jordan Officer : Je dirais que oui. C’est sûr que le contexte dans lequel le projet a débuté a vraiment influencé le style, la vibe… J’étais là d’abord pour étudier avec ce guitariste, mais j’ai des amis là-bas, ma famille est venue avec moi. On a apporté nos planches de surf, parce que ma femme et moi, on fait du surf. On était dans la mer quasiment chaque jour. Il y a quelque chose de très différent dans l’ambiance de cette ville, le rythme est beaucoup plus lent sur la côte Ouest qu’à New York par exemple, et je sens cette influence sur l’album. En général, quand je me déracine un peu pour travailler, peu importe où, on dirait que sans repères, on est moins dans ses habitudes, dans les chemins qu’on a tendance à prendre naturellement. Donc, je trouve que c’est plus facile de me réinventer quand je suis loin, ou de m’éloigner un peu pour une période, juste pour voir les choses différemment. Je trouve que c’est toujours très bénéfique.
Les gens te connaissent beaucoup pour ta collaboration avec Susie Arioli. Elle participe d’ailleurs à la chanson Shot of Rythm and Blues sur Blue Skies. Est-ce que vous avez l’intention de travailler ensemble encore dans l’avenir, ou vous avez tourné la page?
Jordan Officer : On a travaillé ensemble pendant une bonne quinzaine d’années, mais non, on ne travaille plus ensemble. Elle fait vraiment sa carrière solo sans moi. Le dernier album qu’elle a sorti, c’est le premier sur lequel je ne joue pas du tout. Pour moi aussi, depuis plusieurs années, c’est le cas, mais j’ai eu une idée de dernière minute… Je me suis dit « Sur cette chanson, ça serait le fun sa voix, ça serait parfait avec sa personnalité ». C’est un genre de clin d’œil, et elle était d’accord, donc, je suis super content qu’elle ait pu faire ça.
Tu fais ta rentrée montréalaise le 10 mars. À quoi est-ce que les gens peuvent s’attendre? Est-ce que tu fais des reprises qui ne sont pas sur l’album? Quel genre de spectacle ça va être?
Jordan Officer : C’est sûr que je joue l’album au complet, ainsi que quelques chansons de I’m Free, et d’autres pièces qu’on aime bien jouer. Mais c’est vraiment un beau spectacle. J’ai aussi collaboré avec une metteuse en scène, Brigitte Haentjens. Je trouve que c’est vraiment un show qui raconte mon histoire, et qui raconte aussi une histoire sur la musique, sur le blues, le jazz, le country, et sur les liens qu’il y a entre ces musiques. Alain Berger à la batterie, Sage Reynolds à la basse et moi, ça fait maintenant trois ans qu’on tourne ensemble. On s’aime beaucoup, une belle relation s’est créée. Donc, on tripe! Plus que sur la dernière tournée, on va dans les extrêmes, dans les moments intimes plus country-blues, puis des trucs vraiment déchaînés, des boogies quasiment rockabilly… Étant donné la variété du matériel sur l’album, ça nous permet vraiment de se faire du fun, à explorer différents mondes qui sont quand même reliés.
Jordan Officer en spectacle
Jeudi 10 mars, Club Soda à Montréal
Pour plus d’informations sur la tournée québécoise :
http://www.jordanofficer.com/
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