Lorsque l’Armée rouge envahit l’Afghanistan en 1979, certains médias français cherchent à contrer l’Union soviétique en présentant comme une épopée le combat des moudjahidines engagés dans le djihad (guerre sainte), rapporte Le Monde diplomatique de février. Un traitement médiatique qui rappelle l’emballement des jeunes occidentaux qui rejoignent leurs rangs.
« Il n’y a pas d’alternative », proclame la première ministre du Royaume-Uni élue en 1979, Margaret Thatcher. Les États-Unis, le Canada et la France emboîtent le pas. Les gouvernements passent d’une intervention publique qui stimule la croissance économique à un libre jeu du marché. Le tournant néolibéral met en place une idéologie de la communication et une vision à court terme du changement social. Par exemple, on dresse un portrait essentialiste des femmes afghanes et naïf des traditions populaires.
« L’archaïsme des relations hommes femmes en Afghanistan nous choque, mais il ne peut être remis en question que par une évolution qui doit se faire, là aussi, à son propre rythme et au moment que choisiront les femmes afghanes elles-mêmes », écrit Annie Zorz dans Les Temps modernes, juillet-août 1980.
« L’« oppression » de la femme n’est qu’une pièce dans ce système. Un européocentrisme total n’aide nullement à comprendre le fonctionnement de cette société, dans la mesure même où l’«oppression» pèse souvent autant sur les hommes que sur les femmes, dans le cas du mariage arrangé par les parents, par exemple », écrit Emmanuel Todd dans Le Monde, 20 juin 1980.
L’idéologie de la communication instaurée dans la décennie 1980 installe un rapport entre la bulle discursive du « village global » et la bulle spéculative sur les valeurs boursières, d’après le Manuel d’histoire critique du Monde diplomatique. À l’instar des fractures numériques qu’impose le libre marché, la perspective globale animée par l’idée de progrès infini se fractionne. Ainsi, on fait des comparaisons douteuses.
« Outre que leur islam vaut bien le communisme à la soviétique et que le premier est aussi « globalement positif » que le second, il est scandaleux de s’interroger sur leur civilisation au moment où ils la défendent avec le plus d’héroïsme », écrit Jean Daniel dans Le Nouvel Observateur, 16 juin 1980.
« Ne mélangeons pas les genres. À Téhéran (Iran), l’intégrisme correspond à une folle libération du petit peuple des villes après vingt années de mégalomanie, de gâchis et d’occidentalisation criarde. En Afghanistan, il ne s’agit que de tradition, et rien que de tradition. Pas de politisation extrême comme en Iran, ni de surchauffe. (…) Les montagnards et maquisards de Dieu ont la foi », écrit Pierre Blanchet dans Le Nouvel Observateur, 7 janvier 1980.
Villages gaulois contre les légions romaines, la Résistance en France, combat de toutes les victimes du totalitarisme, préserver une société d’hommes libres, les « Afghans » de l’Hexagone : les moudjahidines ont eu droit aux comparatifs élogieux de la société française.
« Le djihad et le caractère islamique de cette résistance peuvent effrayer, mais, à de rares exceptions près, on ne leur connaît pas de forme fanatique », écrit Stan Boiffin-Vivier dans Le Figaro Magazine, 5 décembre 1987.
« Les Afghans ont la pudeur et le fatalisme qu’implique une confiance absolue en la volonté d’Allah. On dirait qu’il n’existe pas de mode de vie plus attrayant ni d’occupation plus élevée que celle de combattant de la guerre sainte. Elle rapproche chacun de la vie du Prophète », écrit Catherine Chattard dans Le Monde, 20 mai 1985.
La description familière de l’autre, l’Afghan, rejoint la thèse de l’ouvrage L’Orientalisme du théoricien littéraire, Edward Said publié en 1978. L’analyse critique d’œuvres littéraires, de récits de voyage, de textes scientifiques et politiques de l’Occident du 19e et du 20e siècle met en évidence la dimension politique de la création de l’Orient par l’Occident.
« C’est cette accumulation de triomphes, c’est cette hécatombe des ennemis, c’est leur orgueil, c’est leur fierté qui, aujourd’hui, permettent encore à 17 millions d’Afghans de croire que, bientôt, tapis dans leurs repaires du Toit du monde, là où Kipling a fait vivre son Homme qui voulut être roi, leurs défenseurs seront encore triomphants », écrit Jérôme Marchand dans Le Point, 21 janvier 1980.
La première chaîne d’information en continu, Cable News Network (CNN), apparaît en 1980. « Avec CNN, l’info circule dans le monde entier et personne ne veut avoir l’air d’un débile. Donc ils font la paix, car ça, c’est intelligent », affirme le fondateur Ted Turner qui s’en remet à la propriété « caméra de surveillance » des médias.