C’était soir de fête à la Maison symphonique, mardi, alors que l’Orchestre du Festival de Budapest s’arrêtait dans la métropole le temps d’un concert. Au programme: Liszt, Prokofiev et le pianiste Marc-André Hamelin.
Dans une salle heureusement réchauffée par le redoux hivernal, le chef d’orchestre Ivan Fischer et ses musiciens avaient à se mettre sous la dent un programme solide, mais non pas trop ambitieux pour son propre bien.
Après une mise en bouche musicale sous la forme de l’Ouverture de Der Freischütz, de Carl Maria Von Weber, on a promptement dégagé, sur la scène, un couloir permettant l’installation du piano à queue, histoire de M. Hamelin s’installe confortablement.
Dès les premières notes, il est devenu évident qu’une sorte de contrat tacite avait été signé entre le pianiste et les musiciens: alors que Marc-André Hamelin utilisais bien entendu les touches de son instrument, sans toutefois jamais les martyriser, il en revenait à l’orchestre d’afficher une certaine « vantardise » musicale, de s’adonner, si l’on veut, à l’esbroufe sonore.
À l’écoute de ce Concerto pour piano no 1 de Franz Liszt vient en tête la tiédeur des rayons du soleil sur la peau lors d’une belle journée de grand froid. Ou peut-être est-ce plutôt l’image de la neige scintillante défilant à toute vitesse sur le bord de la route? Très loin de l’époque de Liszt, certainement, mais l’idée semble appropriée dans les circonstances. L’oeuvre baigne dans le romantisme, certainement, mais pas dans le cliché ou le « gnan-gnan » – même si la différence est parfois ténue. De fait, le mot d’ordre est définitivement délicatesse, ou encore parcimonie. L’orchestre (et M. Hamelin) n’ont cependant pas non plus peur de bomber le torse lorsque nécessaire, y compris lors de la finale triomphante particulièrement méritée.
Après l’entracte (et le départ du pianiste), l’orchestre a légèrement changé de registre – et d’époque – pour s’attaquer à la Symphonie no 5 de Sergueï Prokofiev. Le compositeur russe a d’ailleurs été étrangement renommé Serge dans le programme. Ce qui n’est pas tout à fait faux, mais…
Bref, Prokofiev et sa musique contemporaine, mais qui conserve une trace des racines classiques auxquelles le public de la Maison symphonique est davantage habitué. Déjà, l’orchestre avait reçu des renforts, avec des ajouts notoires dans les sections des cordes et des cuivres.
De l’oeuvre comme telle, on retirera un mélange de mélancolie et de prestige, alors que la tristesse lutte contre un sentiment de triomphe. De cet affrontement sonore naîtra un monde fantastique, imaginaire, avec tout de même certaines touches bien ancrées dans la réalité. Pour mieux comprendre la structure « narrative » de cette symphonie, il importe d’ailleurs de se rappeler que Prokofiev se devait de respecter les codes de la dictature stalinienne alors en vigueur. Il était donc nécessaire de glorifier l’Armée rouge, d’autant plus que la mère patrie était plongée dans la « Grande Guerre patriotique » pour repousser l’envahisseur nazi. Les premier et quatrième mouvement résonnent donc sous les coups des percussions, évoquant bien entendu le grondement de l’artillerie et des « orgues de Staline ».
Impossible, en fait, de nier que Prokofiev n’affichait pas un savant sens du spectacle. Mélanges entre sonorités classiques et essais contemporains, volonté évidente de créer un « suspense » musical, le maître russe était particulièrement en forme, pressions de Moscou ou pas.
En programmant ces trois oeuvres – et en les interprétant avec brio -, l’Orchestre du Festival de Budapest échappe à la malédiction des titres dépareillés, jetés là au petit bonheur la chance, en espérant que la recette fonctionne. Un concert efficace, plus qu’agréable à entendre… que demander de plus?