Monument indétrônable des jeux de stratégie en temps réel, Red Alert, possiblement encore plus que son grand frère Command and Conquer, représente ce qui se fait de mieux dans le domaine. Une vingtaine d’années après sa sortie, le titre, bien qu’ayant vieilli, continue d’inspirer joueurs et développeurs.
Les années 1990 étaient décidément un âge d’or pour les amateurs de stratégie. Mais avant Homeworld, avant Starcraft, il y a eu Command and Conquer. Certainement pas le premier jeu de stratégie en temps réel, bien sûr: Dune, puis Dune II, ou encore Warcraft – sur lequel viendra l’occasion de se pencher.
À travers ce florilège de jeux solides, toujours plus raffinés, survient Command and Conquer, en 1995. S’inspirant de la tendance du moment, les développeurs de chez Westwood s’en donnent à coeur joie avec une histoire cliché, mais efficace: le monde est séparé en deux camps, GDI et NOD, l’Occident onusien contre une mouvance terroriste et populiste. Le tout est parsemée de scènes tournées en full motion video, avec de véritables acteurs. Le jeu aura un succès tel que le studio récidive l’année suivante avec Red Alert. Même moteur graphique, mêmes interludes filmés en FMV, mais une histoire différente. Au lieu de se tourner vers le futur, le jeu avance l’hypothèse d’une uchronie, un monde où Hitler a été éliminé par Einstein grâce à une machine à voyager dans le temps (il ne faut pas trop chercher à comprendre), et où Staline a donc le champ libre pour envahir l’Europe de l’Ouest.
Aux commandes des forces alliées ou soviétique, le joueur devra repousser l’avance ennemie, faire le ménage dans son propre camp, et ainsi, ultimement, assurer la victoire totale de son armée et de son idéologie dans l’hémisphère nord.
Exploiter des ressources, construire des bâtiments, produire des unités, les envoyer au combat (ou au casse-pipe)… l’idée est simple, et avait déjà été utilisée par le passé, entre autres dans Warcraft. Ce que Red Alert accomplit est en fait une simplification de ce procédé. Au lieu d’envoyer des paysans chercher l’or ou le bois nécessaires à l’effort de guerre, des camions blindés se chargent de la sale besogne. Finies, également, les radiations mortelles dégagées par le Tiberium de Command and Conquer. Red Alert se concentre sur la guerre, et rien que la guerre. Pas de limite au nombre d’unités qu’il est possible de jeter dans la mêlée, une série de missions allant de la conquête pure et simple à la défense d’objectifs spécifiques, en passant par les obstacles à franchir en un temps limité et les infiltrations où chaque erreur est fatale, Red Alert est un jeu demandant, certainement, mais un jeu particulièrement bien peaufiné.
Là où le jeu renforce d’ailleurs ses preuves de noblesse est lorsque l’on se tourne vers le multijoueurs. Bien entendu, point de système passant par le réseau informatique en cette époque reculée du milieu des années 1990. Il fallait plutôt se rabattre sur une connexion série, IPX, ou encore modem pour parvenir à ses fins. Mais la fluidité du jeu et la facilité avec laquelle il était possible de comprendre le fonctionnement des principes fondamentaux du titre, le tout combiné à un mode solo particulièrement solide font en sorte que Red Alert est encore aujourd’hui considéré comme un monument à l’excellent game design.
La suite… et la suite
Il faudra attendre quatre ans pour qu’une suite à Red Alert voit le jour. Red Alert 2, sorti en 2000, toujours sous l’égide de Westwood, mais aussi d’Electronic Arts, reprend le bâton du pèlerin dans cet univers uchronique. Staline a été vaincu, certes, mais le président installé à Moscou par l’Ouest se révolte sous les impulsions psychiques du mystérieux Youri, et déclenche une invasion généralisée des États-Unis par le sud, l’est et l’ouest.
Encore une fois, le joueur défendra les Alliés ou la mère patrie soviétique en jetant dans la bataille quantité de fantassins, de chars, d’avions, de navires… et même des unités un peu plus hétéroclites. Si Red Alert comportait effectivement des chiens renifleurs aptes à détecter les espions ennemis, son successeur offre les traditionnels canidés, mais aussi des pieuvres mécaniques, des dauphins et des pieuvres géantes. Un jeu un peu plus bouffon, sans doute, avec même une petite référence à l’affaire Lewinsky en ouverture. On y parle aussi de clonage, de contrôle psychique, d’unités utilisant la radioactivité pour faire « fondre » les fantassins ennemis, ou même de camions piégés aux charges atomiques et de kamikazes. De quoi provoquer quantité de grincements de dents en 2016.
Qu’à cela ne tienne, le jeu tourne aussi sous un nouveau moteur graphique beaucoup plus rapide, ce qui permet, une fois de plus, de simplifier le jeu. d’autant plus que la question de la finalité des champs de ressources à exploiter est résolue par l’ajout de bâtiments civils qu’il est possible de capturer, y compris des puits pétrolifères offrant un revenu garanti.
Après Red Alert 1 et 2, les attentes étaient particulièrement élevées envers EA, désormais entièrement propriétaire de la franchise. Et comme bien trop de séries absorbées par l’empire tentaculaire d’Electronic Arts, Red Alert 3, paru en 2008, n’a pas vraiment séduit les foules. Pas de quoi fouetter un chat, au moins, mais l’énergie semble s’être dissipée avec les années. Est-ce à cause du jeu collaboratif auquel il semble impossible d’échapper? De l’apparente « fragilité » des unités? De leur aspect trop « dessin animé »? Le jeu n’a pas ravivé la flamme comme l’avaient fait ses prédécesseurs.
Depuis, silence radio. Il y a bien eu une version pour plateformes mobiles, mais pas de Red Alert 4. La franchise dort dans les voûtes d’EA, et personne ne sait quand elle en sortira.
En attendant, l’esprit de Red Alert survit dans OpenRA, une version à code source ouvert de Command and Conquer, Red Alert et Dune 2000 disponible gratuitement en ligne.