À l’approche du centenaire de la révolution de 1917, le 21 et le 25 janvier, le président russe Vladimir Poutine a reproché à Lénine d’avoir imposé le fédéralisme dans l’URSS, ce qui aurait entraîné son effondrement et menacerait encore aujourd’hui l’État russe unifié et puissant. De l’autre côté du globe, l’exposition The Power of Pictures: Early Soviet Photography, Early Soviet Film présenté du 25 septembre 2015 au 7 février 2016 au Jewish Museum de New York dévoile le génie de la période révolutionnaire 1917-1932.
Ce survol visuel de la diversité stylistique de la révolution bolchévique met l’emphase sur l’héritage photographique. La Russian Society of Proletarian Photographers (ROPF) qui constituait un centre politique et esthétique comprenait de jeunes photographes d’origine juive: Max Alpert, Arkady Shaikhet, Semyon Fridlyand, Georgy Petrusov, Mikhail Prekhner et Yakov Khalip. Cependant, comme la plupart d’entre eux ont adhéré au ROPF dans les années 1930 après la période révolutionnaire, leur apport a été d’assurer la continuité de cette expertise pendant la Deuxième Guerre mondiale et l’après-guerre, rapporte Jamey Gambrell au New York Review of Books le 28 janvier 2016.
À la suite de la consolidation du pouvoir politique par Staline, le « décret d’avril » de 1932 a mis fin à la multiplicité des organisations artistiques indépendantes. Le but était d’attrouper tous les artistes, écrivains, compositeurs, poètes, peintres et architectes pour constituer des « unions créatives » nationales. Le « réalisme socialisme » a été déclaré art officiel de l’URSS. Même si la « perspective nombriliste » domine l’usage commun de la photographie aujourd’hui, l’égoportrait par exemple, les innovations perceptuelles de l’avant-garde russe persistent surtout par les parcours artistiques des photographes contemporains, conclut Jamey Gambrell.
Les expositions grand public de l’art russe d’avant-garde des trente dernières années présentées par les musées new-yorkais, le Guggenheim et le MoMA, ou par les musées européens couvrent le plus de médiums possible, dont l’architecture, les arts appliqués et le design. Ce traitement de la révolution à travers la pluralité des médiums artistiques rejoint la Russie sous l’idéologie soviétique. Il s’agissait de créer une société nouvelle et un homme nouveau. Alors, en matière de culture, les bolchéviques ont créé de nouvelles infrastructures sociales pour produire, présenter et diffuser les arts visuels. Les collections privées ont été nationalisées. Les musées et les écoles d’art ont été réorganisés.
Influencés par les courants artistiques européens émergents, tels le cubisme et le futurisme, et les traditions folkloriques russes, les étudiants de la nouvelle école d’art philosophaient sur le concept du musée et sur les enjeux sociaux, tels l’alcoolisme et le droit des femmes. « Le cinéma est le plus important de tous les arts », a affirmé Lénine afin de souligner que ce médium permet de rejoindre l’ensemble de la population, éduqué comme analphabète. La grande sélection d’affiches, de photos de magazines, de pages couvertures de livres et les exemples de photomontages de l’exposition The Power of Pictures: Early Soviet Photography, Early Soviet Film permet de s’attarder à la sémiopragmatique, la correspondance entre les médiums visuels de la photographie et du cinéma.
Double vision
La projection du documentaire The Fall of the Romanov Dynasty , accessible en ligne, illustre la lutte des classes du peuple russe qui a mené à la révolution de 1917. Un événement dont la signification a été critiquée par le président russe, Vladimir Poutine le 25 janvier dernier lors d’un congrès politique à Stavropol au sud de la Russie. Partisan d’une Russie unifiée et d’un pouvoir fort, il a évoqué l’assassinat brutal de la famille impériale et du clergé orthodoxe, afin de reprocher à Lénine d’avoir accordé aux différentes entités soviétiques le droit de quitter l’URSS. Lorsqu’il travaillait à la mairie de Saint-Pétersbourg, M. Poutine redoutait déjà cette ligne fédéraliste en 1991, rappelle un éditorialiste dans Nezavissimaïa Gazeta.
Parmi le répertoire d’images qui témoigne de la période révolutionnaire, l’exposition au Jewish Museum souligne trois tendances des photographes par leur façon de prendre les clichés, d’après l’historien d’art, Alexandre Lavrentiev.
Les pictorialistes proviennent de la tradition des portraitistes qui travaillent en studio, critiqués pour esthétiser leur sujet et pour traiter la photographie comme une peinture.
Les avant-gardistes représentent plus ou moins la tradition de portraitistes et de photographes de paysage, ils se basent sur le travail d’Alexandre Rodtchenko.
Au début des années 1920, Rodtchenko abandonne la peinture pour le design constructiviste. Il met un terme à la perspective « nombriliste », voire iconique, de l’image en prenant des clichés sous des angles bizarres ou peu orthodoxes.