« C’est un vote de protestation », a affirmé le professeur de science politique à l’Université de l’Islande, Gunnar Helgi Kristinsson, suite à la victoire du Best Party le 29 mai 2010 aux élections municipales de la capitale islandaise. Une protestation de longue haleine si 47 % des Islandais ont pressenti l’ex-maire de Reykjavik comme futur président du pays, d’après un sondage du quotidien Fréttablaðið en 2014.
L’élection du Best Party, avec 34,7 % des voix et six sièges sur 15 au total, marque une intention de la part des Islandais de renverser le parti traditionnel de l’indépendance qui a obtenu 33,6 % des voix et cinq sièges. Les sociaux-démocrates ont suivi avec 19,1 % des voix et trois sièges. « Plus qu’une crise économique, c’était une crise de valeurs , des valeurs qui nous ont guidées pendant tellement longtemps et qui se sont révélées fausses », a expliqué un Islandais interviewé par Eileen Jerrett dans le documentaire Blueberry soup (2012).
« En Islande, d’après l’enquête parlementaire, ce n’est pas les gens normaux qui ont causé la faillite du pays. Ce ne sont pas ceux qui ont acheté un téléviseur à écran plat, une voiture ou une maison. Environ 80 % de la dette du pays a été retenue par les autres banques, incluant les amis des propriétaires des institutions financières, alors ils ont pu acheter des compagnies à l’étranger qui coûte environ quatre fois plus chères que leur valeur réelle », explique la professeure de Droit à l’Université de l’Islande et auteure de l’ouvrage The Vikings Revolution, Elvira Méndez, rapporte EL PAIS en 2012.
Le ras-le-bol des Islandais a porté Jón Gnarr à la tête de la capitale, celui qu’ils voyaient à la télévision et au cinéma à travers le personnage de Georg Biamfredarson. Un chauve affreux d’âge-moyen à l’éducation suédoise et marxiste dont l’enfance a été ruinée par une mère féministe militante. Le maire atypique élu à l’âge de 43 ans a été en poste jusqu’à ce que les sociaux-démocrates, qui formaient une coalition avec le Best Party, remportent les élections municipales le 16 juin 2014. Le parti anarchiste, surréaliste, satyrique, bref, de toute forme d’appellations subversives, a été dissout peu longtemps après.
Au départ, ce n’était qu’une blague dans une émission de télévision. Jón Gnarr ne définissait pas le Best Party comme un parti politique, mais comme « un groupe d’entraide démocratique » se limitant à une plateforme empreinte d’honnêteté et d’intégrité, d’empathie, de communication non violente et de plaisir. Le logo était ridicule. « Nous avons choisi la typographie la plus moche et la combinaison de couleurs la plus hideuse », écrit-il dans son livre Gnarr ! parut en 2014. Après une performance désastreuse à un débat télévisé, la popularité du comédien qui n’avait jamais fait de politique ne faisait qu’augmenter, rapporte le Guardian le 15 septembre 2014.
« Personne n’a à avoir peur du Best Party parce que c’est le meilleur parti. Si ce ne l’était pas, on l’aurait appelé le Worst Party ou le Bad Party. Nous ne travaillerions jamais avec un parti comme ça », a affirmé le maire sortant Jón Gnarr au lendemain des élections afin de rassurer les 65,3 % des électeurs qui n’ont pas voté pour lui.
Rebelle au pouvoir
Quatrième maire de Reykjavik en quatre ans, Jón Gnarr est devenu un homme politique influent. Presque la moitié de la population d’Islande est concentrée dans la capitale, soit 121 822 habitants sur 329 100 Islandais d’après Statistiques Islande 2015. Ce ratio est disproportionné si on le compare au nombre de Québécois résident à Montréal ou au nombre de New Yorkais parmi l’ensemble des Américains résident aux États-Unis.
Le comédien a mis son statut au service de sa marginalité en se démarquant à l’échelle internationale. De passage à New York, invité au premier Radiovision Festival organisé par la station de radio WFMU en 2011, il a été manifesté avec sa femme au Occupy Wall Street habillé en noir et portant un masque d’orang-outang.
Malgré la rage du parlement islandais, le maire a refusé d’assister à un dîner protocolaire avec les commandants de l’OTAN en visite sur l’île. « Il y a toujours eu cette tendance en Islande, parce que nous sommes tellement petits et tellement dépendants de nos bonnes relations avec de plus grandes nations autour de nous, qu’à chaque fois que nous avons la chance de leur montrer du respect, nous le faisons. Alors, si un navire militaire accoste à notre port, nous faisons une réception pour les officiers », a-t-il affirmé.
Cette volonté de rompre avec le protocole, on la retrouve auprès des membres de la commune Christiania située à Copenhague au Danemark qui a manifesté contre la même organisation. « L’Islande n’a rien à voir avec l’OTAN. Nous n’avons rien pour y contribuer. C’est juste que certains hommes en Islande ont la chance de rencontrer d’autres hommes de plus grands pays et d’avoir un égoportrait avec eux », se justifie-t-il.
Dans le cadre d’une émission de radio, ses relations étrangères comprennent des appels outremer où il demandait à la Maison-Blanche, à la C.I.A., au F.B.I. et à des stations de polices dans le Bronx s’ils ont retrouvé son porte-feuille perdu, rapporte le New York Times du 25 juin 2010.
Souffler un peu
« La récupération islandaise a été impressionnante. Il s’agit du pays qui a amélioré de la façon la plus rapide et la plus solide sa situation de tous ceux qui ont été frappés par la crise », a résumé le Secrétaire général de l’OCDE, Ángel Gurría, en septembre 2015.
À la télévision islandaise le 15 janvier dernier, avant de traiter du décès de David Bowie et de l’entrevue controversée avec les trois banquiers emprisonnés responsables de la crise économique, le directeur de la programmation de l’entreprise médiatique 365, Jón Gnarr a annoncé qu’il ne prendra pas part à la course pour la présidence de l’Islande.