L’an de grâce 1997. L’époque des cartes vidéo 3Dfx, des boîtiers beiges et du son compatible Sound Blaster. L’époque, aussi, de la révolution en matière de jeux de stratégie en temps réel (RTS), avec nul autre que l’increvable Total Annihilation, dont l’héritage est encore aujourd’hui fermement implanté dans le paysage vidéoludique.
L’idée est particulièrement simple, même pour l’époque: deux factions se livrent une guerre totale depuis plus de 1000 ans. Dans une galaxie pratiquement vidée de ses ressources, les forces militaires ennemies continuent de se battre, et seul l’anéantissement total de l’adversaire permettra de mettre fin aux hostilités. De fait, l’idée originale des gens de chez Cavedog Entertainment – un studio depuis longtemps disparu – reposait plutôt sur deux choses: l’ambition et le « réalisme ».
L’ambition, d’abord, en jetant des centaines, voire des milliers d’unités les unes contre les autres. Pas de limite liée au « ravitaillement », comme c’est le cas dans Starcraft, un autre classique sorti l’année suivante, ou Homeworld, par exemple. Les seules restrictions sont celles des capacités techniques de la machine sur laquelle tourne le jeu… et la patience du joueur.
Ambition, aussi, dans cette sous-structure technologique et cet engin graphique qui, près de 20 ans plus tard, sont toujours fonctionnels. Pas besoin, non plus, d’invoquer les esprits ou de sacrifier une vierge pour obtenir une résolution moderne: le jeu offre du 1080p sans rechigner une seconde. Peut-être aura-t-on des résultats un peu rigolos dans les menus, mais le jeu en lui-même se fend en quatre pour assurer une stabilité sans équivoque.
Ambition, toujours, alors que le jeu (et ses deux expansions) sont encore aujourd’hui offerts à un prix dérisoire, et dans un format tout à fait adapté aux systèmes d’exploitation et ordinateurs modernes. AutantGOG (depuis plusieurs années) que Steam (plus récemment) s’appuient par ailleurs sur la très vaste communauté d’amateurs et de passionnés pour vanter les modifications, cartes et unités supplémentaires et correctifs mis en ligne au fil du temps.
Il ne faut pas non plus se leurrer: le jeu a pris de l’âge, et bien des options présentées à l’époque comme révolutionnaires seraient aujourd’hui présentées comme allant de soi ou comme étant carrément rétrogrades. Dans sa version de base, le jeu comporte une intelligence artificielle laissant fortement à désirer. Les unités se télescopent joyeusement au lieu de se diriger en bon ordre vers leur destination, les véhicules de construction abandonnent plutôt que de forcer le déplacement des unités bloquant leur chemin, il semble impossible d’instaurer un « point de ralliement » pour les armées sortant des usines, etc. Tous des aspects tenus pour acquis dans un jeu de stratégie moderne, mais qui, en 1997, relevaient de l’utopie.
Précurseur
Non, ce qui fait la force de Total Annihilation, c’est la philosophie voulant que le joueur ne fait pas que survoler le champ de bataille, mais qu’il incarne véritablement le commandant, devant guider ses troupes vers la victoire en tirant avantage de tous les aspects du conflit. Cela se transpose sous la forme de points de ressources à exploiter, certes, mais surtout en cette capacité de s’approprier le terrain en convertissant respectivement les arbres et les pierres en énergie et en métal, par exemple.
Ce réalisme se traduit aussi par des unités qui ne feront pas toujours mouche. Loin des tirs ultraprécis d’autres jeux, Total Annihilation comporte une part de hasard combinant le champ de vision des armées et la nature du terrain. Un projectile tiré d’en bas d’une colline vers une unité se trouvant au sommet de celle-ci risque fort de rater la cible. Idem si l’objectif se déplace, ou si un aspect du décor se trouve entre le tireur et sa cible. De petits détails, certes, mais qui contribuent à faire de Total Annihilation et de ses successeurs –Supreme Commander, Forged Alliance, Supreme Commander 2 et Planetary Annihilation – un groupe à part.
Avec Total Annihilation, les gens de chez Cavedog ont aussi implanté une mécanique particulièrement intéressante qui est malheureusement trop peu souvent reprise par d’autres titres: il est effectivement possible de capturer les unités ennemies, voire de les « ressusciter ». Suffit alors de « ramener à la vie » un véhicule de construction adverse, et hop!, celui-ci donne accès à l’entièreté de l’ »arbre » technologique de son opposant.
Ajoutez à cela une trame sonore composée par nul autre que Jeremy Soule (Elder Scrolls) – une trame sonore qui était écoutable directement à partir du CD du jeu! -, et Total Annihilation peut sans aucun problème prendre place au panthéon des jeux de stratégie, aux côtés de Red Alert ou encore Starcraft. Oui, le jeu a vieilli, mais sa communauté est encore particulièrement solide, ses successeurs comptent parmi les meilleurs RTS modernes (Forged Alliance), et son nom continue de symboliser ce qui peut être accompli lorsque des artistes s’en donnent à coeur joie pour créer un véritable bijou.